J’écoutais Florent Georgesco parler de ce livre à la radio. Il a dit une chose très vraie sur Emmanuel Carrère. Il sait trouver le ton juste pour écrire. Tout s’enchaîne, ce n’est ni trop ni pas assez, on dirait qu’il nous parle. Le journaliste du Monde disait qu’il avait l’impression d’être assis en face de lui dans sa cuisine et de simplement l’écouter parler – il a reçu le prix littéraire du Monde, ce n’est certainement pas un hasard. Et il a raison, on pourrait l’écouter pendant des heures. Ce type a un tel talent qu’il rendrait l’histoire du chemin de fer en France intéressante – que les fans me pardonnent. Imaginez alors un instant ce qu’il peut faire avec un sujet comme le Christianisme.

Certains n’apprécient pas les auteurs qui parlent d’eux. Pas de chance, c’est une des caractéristique d’Emmanuel Carrère. Ici, il consacre carrément une longue première partie à parler de son rapport à la foi. Il fut fervent pratiquant pendant une période de sa vie pour tout d’un coup prendre ses distances, jusqu’à ne plus croire et se demander pourquoi il a cru.

Ce qu’il dit, c’est que c’est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne, un truc exactement du même genre que la mythologie grecque ou les contes de fées. Dans les temps anciens, admettons : les gens étaient crédules, la science n’existait pas. Mais aujourd’hui !

La suite est tout simplement passionnante. Il parvient à faire passer une quantité incroyable d’information en restant accessible et surtout extrêmement intéressant. Tel un romancier – qu’il fut – il va choisir et suivre deux personnages principaux: Paul l’apôtre et Luc l’évangéliste.

En ce qui concerne le temps, et selon un décompte dont personne n’a encore l’idée, on est, à un ou deux ans près, aux alentours de l’an 50. Quant au lieu, c’est un port situé sur la côte occidentale de la Turquie, qu’on appelle alors l’Asie : Troas. En ce point précis du temps et de l’espace, deux hommes se croisent, qu’on nommera plus tard saint Paul et saint Luc mais qui pour le moment s’appellent simplement Paul et Luc.

A sa manière il intègre au récit des éléments contemporains ou personnels ou les deux – le passage sur la masturbation en vidéo en pleine évocation de la Vierge Marie n’a parait-il pas plu du tout à Bernard Pivot – de là a y trouver une des raisons pour lesquelles il n’a pas été retenu sur la liste du Goncourt 2014. Il comble les vides, s’interroge, donne tous les éléments et sa propre version tout en restant extrêmement précis.

[…] je suis libre d’inventer c’est à la condition de dire que j’invente, en marquant aussi scrupuleusement que Renan les degrés du certain, du probable, du possible et, juste avant le carrément exclu, du pas impossible, territoire où se déploie une grande partie de ce livre.

J’ai appris énormément de choses – en même temps, je partais de loin –, mais je n’ai pas tout retenu. Ce livre mériterait largement une seconde lecture pour en saisir tout le fond. Je cite une liste non exhaustive de thèmes abordés: le phénomène Jésus (sa vie et ce qu’il s’est passé après), l’expansion du Christianisme, les interactions avec les juifs et les romains, l’écriture des évangiles. Emmanuel, je suis parfaitement d’accord avec vous, pendant ses sept années vous avez fait un travail remarquable et le succès rencontré par ce livre est amplement mérité.

J’étais en train d’achever ce livre et j’en étais, ma foi, plutôt content. Je me disais : j’ai appris beaucoup de choses en l’écrivant, celui qui le lira en apprendra beaucoup aussi, et ces choses lui donneront à réfléchir : j’ai bien fait mon travail.

Que lire après ce livre fabuleux rempli de savoir – j’ai d’ailleurs regretté qu’il ne fournisse pas une bibliographie ? Les Mémoires d’Hadrien1 dont Emmanuel Carrère avoue ne pas être venu à bout même après plusieurs tentatives – il m’est arrivé la même mésaventure à deux reprises ça me rassure un peu ? Ou plus simplement pour se détendre et rigoler tout en restant dans le thème In God we trust. Je pense que je vais opter pour la deuxième possibilité.


Emmanuel Carrère, Le Royaume, P.O.L, 2014, 640 p, Amazon.


  1. Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Gallimard, 1977, 364 p, Amazon↩︎