Saul Karoo est un docteur en scénarios. Il oeuvre pour l’industrie du cinéma et parvient parfois à faire des miracles. Il est grassement payé pour ses services, on peut mesurer son talent à la taille de son compte en banque – même si ce n’est pas toujours proportionnel dans ce milieu. A part ça, c’est un gros looser. Il a divorcé, il ne voit jamais son fils – il l’évite –, il est dans un état de santé proche de celui d’un cadavre, il n’a plus d’assurance maladie, il fume, il boit et ne parvient même pas à être saoul. Et c’est certainement l’une des raisons qui font que ses aventures sont si plaisantes à lire. On se sent comme l’homme idéal comparé à lui – enfin la taille du compte en banque en moins.

Il me semble de plus en plus évident que ma vie personnelle est maintenant presque exclusivement composée de cette graisse, de ces scènes inutiles que j’ai si habilement éliminées des films et des scénarios des autres.

Le style d’écriture n’est pas non plus étranger au plaisir de lecture, des phrases courtes, et à la qualité de la traduction en sont deux éléments clés. Tout est parfaitement fluide et on avance dans ce très gros livre avec légèreté. J’oubliais le plus important, et une autre des raisons qui expliquent pourquoi on se plonge dans ce livre avec plaisir, il est bourré d’humour.

L’amnésie était l’un des vrais plaisirs de l’ivresse. Lorsque j’étais encore moi-même, en bonne santé et saoul chaque soir, quand je m’éveillais le lendemain matin, je me sentais frais comme un gardon, ayant complètement oublié la soirée de la veille.

Il n’y a pas vraiment d’intrigue, au moins au début, mais on se laisse porter, on suit, avec un peu de paresse peut-être, mais c’est agréable, on est bien. Certaines choses semblent improbables, mais ce n’est pas très grave, on est bien.

Il s’agit d’une oeuvre posthume, du scénariste Steve Tesich, dont on a beaucoup parlé. Le fait que ce soit une oeuvre posthume qui rencontre un grand succès fait souvent le buzz – certainement parce que tout le monde se dit que c’est un peu con quand même d’avoir du succès une fois dans la tombe – ce qui augmente encore son succès. Mais je peux en témoigner, ce n’est pas que du buzz et ça aurait été vraiment dommage que ce manuscrit reste oublié au fond d’un tiroir.


Steve Tesich, Karoo, Monsieur Toussaint Louverture, 2012, 608 p, Amazon.