Les Guerriers de l’Hiver

La guerre d’hiver est le nom communément donné au conflit qui a fait suite à l’envahissement de la Finlande par l’Union Soviétique en 1939. Une nième variation du David contre Goliath qui s’est déroulée à l’extrême nord des terres habitables qui comptent plus de lacs et de forêts que d’habitants. Nous étions en guerre contre la plus grande armée du monde, celle d’un pays dont la capitale contient à elle seule autant d’habitant que la Finlande entière. ...

L'effondrement

Ce roman, comme les autres romans autobiographique d’Edouard Louis, est poignant. Il est poignant parce qu’il est dur et vrai. L’alcoolisme, la violence et la mort. Les traumatismes de l’enfance ne guérissent jamais. Son frère a été rabaissé et rejeté par son père, il n’a pas eu la force de surmonter cette blessure et s’est suicidé à petit feu. Dans le milieu défavorisé qui l’a vu naître, et dans lequel il a toujours vécu, il n’y a pas grand chose pour s’accrocher, aucune prise stable, tout glisse et se dérobe. ...

La septième fonction du langage

Celui qui aurait la connaissance et la maîtrise d’une telle fonction serait virtuellement le maître du monde. Sa puissance n’aurait aucune limite. Quelle idée étrange que de nouer une intrigue digne d’un roman d’espionnage autour de l’accident ayant entrainé la mort du sémiologue le plus célèbre des années 60, Roland Barthes. C’est malin, mais très élitiste, un entre-soi dans le milieu intellectuel de la French theory. Même sans connaître en profondeur les personnages publics de cette époque, il faut au moins pouvoir mettre un visage sur leur nom pour apprécier – ou tout simplement être capable de suivre – l’intrigue de ce roman. ...

Cabane

Les romanciers s’emparent volontiers des sujets qui font l’actualité. L’écologie en est un dont on ne parle certainement pas assez. Après Humus de Gaspard Koenig qui s’intéressait à l’agronomie, Abel Quentin revient à l’origine, à ceux qui très tôt avaient prévu la catastrophe, les lointains ancêtres des membres du GIEC. Il était effarant de lire un livre vieux de cinquante ans qui disait tout. Tout figure en effet dans le rapport Meadows1. En s’appuyant sur la théorie des systèmes et à l’aide de moyens informatiques rudimentaires, quatre scientifiques, tels des cassandres, avaient prévu la crise. Mais publier et avertir n’a pas suffi à arrêter une machine qui s’était déjà emballée, il n’y a qu’à voir le mal qu’on les États à infléchir ne serait-ce qu’un tout petit peu la route qui mène tout droit vers la catastrophe lors des COP climat. ...

Bien-être

Le bien-être c’est le Graal pour toutes les personnes ayant déjà assouvi leurs besoins se trouvant au bas de la pyramide de Maslow. Pour y parvenir, la route est semée d’embuches et de fausses pistes. Nathan Hill parvient à saisir les dérives de notre époque avec une touche d’humour sarcastique. Il effectue une radiographie ou plutôt une autopsie du couple monogame occidental dans un roman dont l’intrigue se déroule sur une période relativement courte, mais qui revient abondamment dans le passé. ...

Intermezzo

Le roman de Sally Rooney gravite entre des pôles soumis à des mécanismes d’attraction / répulsion. Ces deux pôles sont deux frères, le plus jeune est un champion d’échecs et le plus âgé avocat. Les relations amoureuses sont au coeur du livre – on est bien chez Sally Rooney –, mais peut-être un peu moins que dans ses précédents romans, au profit des relations familiales. L’expression est éculée, mais j’ai envie de l’écrire quand même, ce roman ressemble à celui de la maturité. ...

Le jeu de la dame

Dans notre monde abreuvé de contenus vidéos, il existe encore des personnes – certainement des masochistes, dont je fais partie – qui préfèrent la lecture au visionnage d’une adaptation en série télé – si réussie soit-elle. Et c’est une bonne nouvelle car, si j’en crois le nombre d’avis sur le livre, le groupe des lecteurs est important – ils faut aussi comptabiliser celles et ceux qui se sont intéressés au livre après avoir vu la série. Ce n’est pas forcément un mauvais calcul car le temps investi est sensiblement le même (autour de 7 h) et le bilan écologique – pour peu que l’on ait acheté le livre d’occasion ou qu’on l’ait emprunté à la bibliothèque – penche largement en faveur du livre. Non, le seul bémol réside dans la difficulté à visualiser une partie d’échec à partir d’une description textuelle (sans représentation de l’échiquier) – mais si comme moi vous n’êtes pas un spécialiste ça ne changera pas grand chose et les spécialistes du jeu ne s’intéressent pas à ce type de lecture. Car il s’agit d’échecs, dommage à ce propos que le titre original n’ait pas été conservé The Queen’s Gambit – ou correctement traduit par le gambit de la reine – car il désigne une ouverture aux échecs et a donc revêt une signification différente. ...

Pastorale américaine

Pastorale américaine est le premier roman de la trilogie américaine (reprise récemment, et augmentée du complot contre l’Amérique, en Quarto sous le titre L’ Amérique de Philip Roth) et l’un des neufs (le sixième) mettant en scène l’écrivain alter ego de Philip Roth, Nathan Zuckerman. Dans le quartier, il y avait un enfant qui surclassait nettement les autres, il était le meilleur en sport, rendait les filles folles et ressemblait si peu aux autres qu’ils l’appelaient le Suédois. Bien des années plus tard, les chemins si différents – l’un en ligne droite et l’autre tortueux – du Suédois le côté clair et de Zuckerman le côté sombre vont à nouveau se croiser. ...

Trust

Je ne dois pas avoir d’affinités avec les lauréats du prix Pulitzer. Je suis complètement passé à côté de ce livre, mais j’ai pu constater en lisant des critiques que je n’étais pas le seul. C’est le genre de roman clivant que l’on adore – en criant au génie – ou que l’on déteste – en criant à l’arnaque. Tout d’abord je n’aime pas trop les livres “à procédés” et celui-ci en est indéniablement un. Il n’y a qu’à lire la deuxième partie, qui est présentée comme le brouillon d’un récit qui reprend les mêmes évènements que la première partie, la crise de 1929, pour s’en convaincre. Ce qui me gêne, ou plutôt ce qui m’importe, c’est ce qui reste derrière ces artifices. De mon point de vue, pas grand chose. ...

Aliène

Le livre ressemble au récit d’un rêve ou plutôt d’un cauchemar. Mais pas de n’importe quel cauchemar, celui dont on se réveille en sueur, avec une impression amère et tenace de réalité. Dans ce genre de cas, la rémanence de ce malaise est souvent assez longue et l’on peine à s’en remettre. Le début du livre est enthousiasmant, l’atmosphère est particulièrement prenante. On est tout de suite plongé dans un univers subtilement étrange. Le subtilement a son importance car il pique la curiosité, on ne voit pas les grosses ficelles et on n’a qu’une envie, celle de tourner les pages. Cet effet est atteint par la combinaison de l’histoire et de l’écriture alliant modernité et usage de mots de savants. On n’est pas dans l’horreur, mais on tourne autour. ...

Les altruistes

Pour commencer je dois avouer que je suis un très bon client des romanciers américains dans le style – pour simplifier – de Jonathan Franzen. Je parle d’histoires contemporaines, souvent des histoires de famille ou des histoires d’amour. J’ai découvert Andrew Ridker à l’occasion de la sortie récente de son dernier roman – que j’ai bien envie de lire –, Hope. Les altruistes est son premier roman et on est clairement dans l’histoire familiale ou comment les traumatismes se transmettent de génération en génération. Il reprend le thème du péché originel qui, bien enfoui au tréfonds des consciences, pourrit lentement avant d’exploser au grand jour. Au passage, le patriarcat en prend un bon coup. Le livre sur ce point, mais aussi plus généralement, est drôle et très second degré. ...

Le père Goriot

Je possède ce Folio depuis que l’on m’a demandé de l’acheter dans le cadre des cours de Français au collège – ou au lycée. A l’époque, je ne l’avais pas lu, seulement certaines parties – le strict minimum. Depuis, de temps en temps, il se rappelait à moi et j’ai enfin sauté le pas. Il n’y a pas de principes, il n’y a que des évènements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les évènements et les circonstances pour les conduire. ...

Un week-end dans le Michigan

Premier livre de la tétralogie qu’a consacré Richard Ford à son héros Frank Bascombe, l’écrivain devenu journaliste sportif – et pas l’inverse. Il date un peu, mais cette série, qui porte le nom de son héros, est considérée comme une pièce maîtresse de l’auteur américain. Ce côté un peu daté ne m’a pas gêné, c’était une autre époque qui a ses codes et ses conventions. Frank n’a pas été épargné par la vie, mais il est parvenu à surnager. Il se satisfait de son métier qui semble être un pis-aller à celui d’écrivain et tente de retrouver l’âme soeur. Au travers des rencontres de son personnage, Richard Ford veut explorer la vie des hommes dans ce pays, à cette époque. Il partage avec son héros une préférence marquée pour la ruralité. ...

Le dîner

Ce livre est plein de mauvais sentiments, il est malsain, toxique. Ne nous y trompons pas, il s’agit d’une oeuvre de fiction et ce que ressent le lecteur correspond certainement à l’effet recherché par l’auteur. Après Villa avec piscine, il s’agit du deuxième livre d’Herman Koch que je lis et c’est aussi la deuxième fois que son personnage principal me met mal à l’aise. La fiction est aussi là pour cette raison, pour nous bousculer, nous proposer d’autres choses, nous faire réfléchir et réagir, même si, comme ici, ce n’est pas toujours agréable. ...

Normal People

C’est le troisième roman de Sally Rooney que je lis, certainement le plus connu et pourtant certainement pas le meilleur. Il tire sa notoriété de son adaptation en série télé. Il faut dire qu’une histoire d’amour un peu chaude entre deux étudiants sur fond de transfuge de classe était manifestement une aubaine pour les producteurs. La série est certainement plus spectaculaire – je ne sais pas pourquoi, mais les producteurs ont tendance à mettre en avant les scènes de sexe – que le livre qui reste un campus novel somme toute très classique, sa seule singularité résidant dans l’évolution sociale des deux amants. Etant plutôt amateur de ce genre de roman, j’ai tout de même passé un bon moment. ...

La Foudre

Je ne connaissais pas Pierric Bailly jusqu’à ce que son dernier livre rejoigne les tables – déjà bien chargées – de la rentrée littéraire 2023. Dès les premières pages, j’ai été pris par ce roman, comme c’est rarement le cas. J’attribue cette attirance à la simplicité de la narration. Le personnage principal est aussi le narrateur et parle à la première personne, son récit est chronologique et linéaire – on peut difficilement faire plus simple. Cette simplicité apparente donne une impression de sincérité, tout porte à croire que l’auteur raconte sa propre histoire bien que ce ne soit évidemment pas le cas. ...

City on fire

Je ne sais pas pourquoi je me suis mis en tête de lire ce roman et encore moins de le terminer – je me souviens d’avoir fait le même genre de bêtise il y a des années avec un autre défi lancé aux lecteurs les plus patients, Jonathan Strange & Mr Norrell. Il est vrai que j’apprécie tout particulièrement la littérature américaine, mais là quand même près de 1000 pages dans un style très classique – pour ne pas dire ennuyeux – ça s’apparente à du masochisme. L’auteur, Garth Risk Hallberg, par cette allusion semble s’amuser de son style à rebours de la tendance – un peu d’autodérision, ça ne peut pas faire de mal. ...

L’invitée

Emma Cline a fait une entrée remarquée en littérature avec son roman The Girls qui s’inspire des crimes de la secte de Charles Manson. Elle revient cette année avec l’invitée, un roman qui raconte l’errance d’une jeune fille prénommée Alex. Ce roman parvient à laisser le lecteur au bord du précipice. On a l’impression qu’Alex va y tomber chapitre après chapitre. Il y a un côté Moins que zéro de Bret Easton Ellis, la défonce, l’argent, mais vu depuis l’autre côté, du côté de ceux qui ce brulent les ailes comme des insectes attirés par la lumière. ...

Que notre joie demeure

En littérature comme ailleurs il faut dépasser ses préjugés. Et je dois avouer que sur ce point, Kevin Lambert m’a donné une bonne leçon. Lorsque j’ai vu apparaître son visage dans les journaux et sur les écrans suite à la polémique déclenchée par son collègue écrivain Nicolas Mathieu à propos de l’intervention d’un sensitive reader – et donc d’une suspicion de censure, gros mot de la littérature – dans le processus d’édition du livre du québécois. La polémique a souvent l’effet inverse de celui recherché et un doute a commencé à poindre dans mon esprit. Et si je passais à côté de quelque chose ? ...

Cher connard

Ce livre n’est ni un livre sur MeToo, ni sur le COVID et le confinement, ni sur le défoulement de haine qui fait rage sur internet, ce sont simplement les marqueurs d’une époque qui nourrissent la conversation entre deux bad asses, un écrivain et une actrice, qui tentent de faire le deuil de leur vie d’avant que l’on pourrait résumer par la défonce. Rien ne m’attire rien ne brille rien ne me bouleverse plus. Je préfèrerais mille fois souffrir et crever d’un amour non réciproque, je préfèrerais être être répudiée être trompée être humiliée être maltraitée je préférerais n’importe quelle blessure d’amour-propre à cet ennui. ...