La couverture donne le ton, Narcisse amoureux de son reflet dans un smartphone. Donc un roman sur le metaverse voilà une idée qui n’est pas nouvelle puisque l’on doit son apparition en littérature à Neal Stephenson, mais qui constitue toujours un projet autant prometteur que compliqué à mettre en oeuvre. Le jeune Nathan Devers – c’est un pseudonyme – s’en tire très bien. Ici ce n’est pas dans le science-fiction, mais plutôt de la très légère anticipation, puisque tout ce qui est décrit existe déjà plus ou moins. Si j’osais, je dirais de l’anticipation à la Houellebecq avec son invention du médicament du bonheur dans Sérotonine, ce n’est pas la réalité, mais ce n’est pas très loin non plus. Il s’empare très bien de ce sujet en en saisissant les aspects économiques et sociétal qui ont déjà commencé à faire des ravages en transposant la vie des gens – je veux dire par là ce à quoi ils attachent le plus d’importance – dans le monde numérique. Aujourd’hui, celui des divers réseaux sociaux où ils s’incarnent en d’autres eux-mêmes – une version différente souvent améliorée d’eux-même – et demain dans un univers qui sera plus vaste et dans lequel ils auront le loisir de vivre une autre vie.

Comme des bourgeois en fin de vie, les sociétés occidentales oscilleraient entre paresse et angoisse. Incapables de surmonter le moindre problème extérieur, paralysées par les menaces les plus insignifiantes, elles se replieraient à chaque nouvelle crise, réelle ou fantasmatique. Alors, effrayée par sa propre frayeur, l’humanité abdiquerait pour de bon.

Attention ce livre reste un roman qui se dévore tant il est à la fois intéressant, bien mené et facile à lire. C’est un vrai plaisir de suivre les aventures de Julien et de son double Vangel. Il y a aussi de la poésie et l’on aura même le plaisir de croiser quelques personnages réels qui ont été matérialisés en tant que PNJ (personnage non-joueur) comme le grand Serge Gainsbourg – la débauche 3.0 et un peu de poésie dans ce monde de brutes.

Trente et un ans après son décès officiel, Serge Gainsbourg était mort pour la seconde fois.


Devers, Nathan. Les Liens artificiels. Albin Michel, 2022.