Ce roman ne sort pas de l’imagination du journaliste et écrivain américain Meyer Levin. Il relate une histoire vraie dans laquelle seuls les noms des personnages ont été changés. Ce roman est d’ailleurs l’un des premiers romans documentaires ou romans basés sur des faits réels. Truman Capote réalisera plus tard un roman du même genre, le célèbre De sang-froid1. Meyer Levin connaît très bien l’histoire qu’il raconte car il étudiait dans la même classe que les deux jeunes hommes tenant les premiers rôles de son roman : Nathan Freudenthal Leopold Jr. alias Judah Steiner Jr. et Richard A. Loeb alias Artie Strauss. Il a donc vécu cette affaire de l’intérieur et c’est peut-être pour cette raison qu’il parvient à la raconter avec autant de réussite. L’affaire en question est connue sous le nom d’affaire Leopold and Loeb. Ces deux personnes sont en fait des jeunes gens, ayant respectivement 19 et 18 ans au moment des faits, exceptionnellement intelligents. Artie Strauss, grand amateur de romans policiers, fut le plus jeune diplômé dans l’histoire de l’université du Michigan. Judd Steiner, passionné d’ornithologie et parlant plus de dix langues, étudiait le droit et s’apprêtait à entrer à la prestigieuse université d’Harvard. Tous deux fils de millionnaires, ils étaient amis et voisins dans un quartier chic de Chicago. Malgré leur situation enviable, les deux camarades sont résolus à réaliser, pour l’exploit un crime parfait. Le plus important pour eux étant qu’il soit totalement gratuit car dépourvue de toute motivation ou émotion. Ils vont donc mettre au point minutieusement l’enlèvement, la demande de rançon et le meurtre d’un jeune garçon.

Ils sont persuadés de leur impunité car ils se prennent pour des surhommes et adhèrent à la philosophie de Nietzsche en considérant qu’ils sont exemptés des lois ordinaires qui gouvernent le commun des hommes. S’ils sont au dessus des autres sont-ils pour autant au dessus de tout soupçon ? Un jeune homme de leur entourage, qui n’est autre que l’auteur lui-même, brillant élève lui aussi mais moins doué qu’eux va enquêter pour le compte d’un journal pour lequel il travaille. Au fil du récit, nous allons peu à peu découvrir la teneur de la relation entre les deux génies et essayer de comprendre l’incompréhensible. L’auteur, en nous racontant l’affaire, distille habilement des éléments permettant de mieux cerner la psychologie torturée de ces deux personnages hors normes.

Ce roman magistral, pourtant écrit en 1956, n’a pas pris une ride. Curieusement, après avoir vécu son heure de gloire (il a donné lieu à un film), il était tombé dans l’oubli jusqu’à sa récente réédition. L’affaire elle même, si elle a fait grand bruit aux Etats-Unis, n’est que très peu connue en France.

Crime est l’un des meilleurs polars qu’il m’ait été donné de lire. Je suis toujours fasciné par le talent d’un romancier qui, malgré le fait que l’on connaisse le dénouement de l’histoire, parvient à nous tenir en haleine à tel point que poser le livre devient impossible. En marge de son intérêt romanesque, il traite de sujets importants comme la peine de mort, la notion de responsabilité ou le traitement et le diagnostic des maladies mentales. N’hésitez pas !


Meyer Levin, Crime, Phébus, coll. « Libretto », 1999, 400 p, Amazon.


  1. Truman Capote, De sang-froid, Gallimard, 1972, Amazon↩︎