“Je m’en vais”, c’est par ces mots que commence et se termine le livre de Jean Echenoz. Ferrer, le personnage principal, travaille dans le domaine de l’art – il se prénomme Félix mais le narrateur utilise le plus souvent son nom de famille seul. Ancien artiste lui-même il s’est petit à petit transformé en marchant d’art exerçant dans sa propre galerie parisienne. Cette galerie, il s’en sert également de dortoir lorsque les affres de la vie sentimentale le poussent à trouver un refuge. Cette vie et ses calcifications que deviennent avec le temps les habitudes le lassent. C’est pour cette raison, mais aussi pour l’appât du gain, qu’il ne va pas hésiter à embarquer direction le grand nord sur les traces d’un trésor d’art inuit (paléobaleinier plus précisément).

Ce roman est construit de manière très structurée. Pendant la première moitié du livre, lorsqu’un chapitre est dédié au temps du récit, le suivant explore le passé, nous raconte ce qui a mené à ces évènements. Puis le passé rattrape le présent mais l’alternance du récit est conservée, pour ne porter désormais plus sur le temps mais sur les personnages. Les transitions ne sont pas abruptes ni des prétextes à la création de suspenses artificiels qui sont trop souvent sources de frustration pour le lecteur.

L’écriture est épurée, sobre tout en étant élégante et précise, concise. Il s’en dégage une clarté et une fluidité rarement égalée. Jean Echenoz dit juste ce qu’il faut, emploie exactement les bons mots et distille à son lecteur l’essentiel, la quintessence, sans le noyer sous un flot de paroles et de digressions. C’est un exemple à suivre. Le narrateur présente les évènements de façon originale et dynamique. Il semble orienter le récit en fonction de ce qu’il se passe comme si, à la manière d’un réalisateur d’émission télé, les yeux rivés sur des écrans de contrôle, il voyait les évènements se dérouler devant ses yeux et orientait le direct vers la bonne caméra. Il va plus loin et n’hésite pas à outrepasser son rôle pour donner son avis ou conseiller Ferrer toujours avec une pointe d’humour.

Quelques objets du quotidien trahissent l’âge du roman et nous rappellent qu’il a obtenu le Goncourt il y a déjà quelques années. C’est d’abord un radiocassette qui nous met la puce à l’oreille et puis, l’évidence, celle que l’on ne peut nier, l’exception française, l’icône des années 80 en personne fait son apparition: le Minitel. C’était effectivement un autre temps où le jury Goncourt récompensait un roman d’une grande classe: intéressant, court, sobre et accessible. De ce côté là, il y a de quoi à regretter l’époque du Minitel.

P.-S.

J’ai appris, un peu tard, l’existence d’un volume de la collection Profil des éditions Hatier consacré au livre de Jean Echenoz 1. Cette collection s’adresse principalement aux étudiants pour leur proposer une étude de l’oeuvre. Ayant eu l’occasion de le feuilleter, j’ai appris, entre autres choses, que ce roman n’est pas vraiment une suite mais plutôt “un code explicatif” – la différence est subtile mais revendiquée par l’auteur – d’un précédent roman intitulé Un an; ils ont au moins en commun les personnages principaux et chacun comble les vides laissés par l’autre. Cet oubli important est réparé.

Ce Profil, complément à la lecture, est au demeurant extrêmement intéressant et je regrette de ne pas l’avoir lu plus tôt. Le livre n’est déjà plus assez présent dans mon esprit pour en profiter pleinement.


Jean Echenoz, Je m’en vais, Minuit, 2001, 256 p, Amazon.


  1. Christine Jérusalem, Je m’en vais de Jean Echenoz, Hatier, 2007, Amazon↩︎