C’est un roman passif qui évoque toute une vie – ce n’est pas péjoratif, on emploie parfois ce terme par opposition au roman actif qui isole une crise. Cette vie, c’est celle de William Stoner. Ce n’est pas quelqu’un d’exceptionnel et c’est déjà l’une des forces de cette histoire. D’origine modeste, ce sont les études qui ont changé sa vie. Une matière a tout de suite retenu son intérêt: la littérature. Ce sera le fil rouge de sa vie. La seule chose que personne ne pourra lui enlever malgré les difficultés et les désillusions, elle restera toujours comme un refuge, une béquille de l’âme.

Il ferma les yeux et respira le parfum des vieux livres. Cette odeur apaisante de cuir et de bon savoir enfermé … Enfin il soupira.

C’est Anna Gavalda – la romancière qui a publié le recueil de nouvelles à succès Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part1 – qui a assuré la traduction de ce livre publié en 1965 par John Williams, un auteur américain méconnu. Nous pouvons la remercier une première fois d’avoir exhumé ce texte et de l’avoir mis sur le devant de la scène. Nous pouvons la remercier une seconde fois pour son écriture qui, sans rien enlever à l’auteur, nous offre de très belles lignes :

La brume retenait dans ses nuées une odeur de déchets en train de brûler au fond d’un jardin et, tandis qu’il marchait lentement en respirant les parfums de la nuit et en sentant le piquant de sa bise sur sa langue, il lui sembla que cet instant précis suffisait à son bonheur et qu’il n’aurait jamais besoin de beaucoup plus.

La structure du récit est extrêmement simple et suit un ordre chronologique sans sophistication, seul l’accent est mis alternativement sur la vie privée et la vie professionnelle de Stoner. Le narrateur ne rompt quasiment jamais cette ligne chronologique sauf parfois pour une ellipse ou pour se livrer à de brèves prolepses – c’est l’anticipation dans un récit d’une action à venir.

Stoner quitta ce bureau et, pendant les vingt années qui allaient suivre, aucun de ces deux hommes n’adressera la parole à l’autre.

C’est certainement l’une des forces de ce livre, cette apparente simplicité dans le fil du récit n’est en rien gênante, l’histoire relatée se suffit à elle-même et n’a aucunement besoin d’artifices narratifs pour capter et emprisonner l’attention du lecteur. Il faut dire que le personnage force le respect par sa simplicité et sa résilience. Celui qui semble être, au début du livre, l’archétype du anti-héros fait montre par ses actes, et à sa manière, d’un comportement éminemment héroïque. C’est un roman d’une force et d’une beauté incroyables. Un grand merci à l’auteur et à Anna Gavalda, de m’avoir permis de lire ce que je tiens pour l’un des plus beaux romans. Lisez-le.


John Williams, Stoner, traduit par Anna Gavalda, Le Dilettante, 2011, 380 p, Amazon.


  1. Anna Gavalda, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, J’ai lu, 2001, 156 p, Amazon↩︎