On vient de confier à Brodeck une lourde tâche. Alors qu’il n’avait rien demandé, c’est tombé sur lui. Il a désormais la charge de raconter ce qu’il s’est passé cette fameuse nuit de l’Ereigniës. Pour s’acquitter de sa mission, il va devoir lire au fond de l’âme des habitants du village et finira par explorer la sienne réduite en bouillie, à l’état de viande hachée, par la guerre et les camps. Il devra découvrir qui est vraiment l’homme que l’on appelle Vollaugä (yeux pleins), De Murmelnër (le murmurant), Mondlich (lunaire), Gekamdörhin (celui qui est venu de là bas) mais que tout le monde s’accorde finalement à nommer tout simplement l’Anderer (l’Autre.) Celui qui est arrivé un jour sans prévenir dans ce village balafré par la guerre.

Ca ne pouvait se terminer que comme cela, Brodeck. Cet homme est comme un miroir, vois-tu, il n’avait pas besoin de dire un seul mot. Il renvoyait à chacun son image. Ou peut-être que c’était le dernier envoyé de Dieu, avant qu’Il ne ferme boutique et ne jette les clés. Moi je suis l’égout, mais lui, c’était le miroir. Et les miroirs, Brodeck, ne peuvent que se briser.

Philippe Claudel signe encore une fois après Les âmes grises une oeuvre magistrale à la fois poignante et très sensorielle. Il parvient à retranscrire de façon très convaincante une ambiance – noire bien sûr – extrêmement pesante. Cette ambiance lourde est d’ailleurs assez proche de celle de son livre Les âmes grises même s’il prend ici ses distances par rapport au genre policier. La narration menant en parallèle l’histoire du rapport et celle de la vie de Brodeck est efficace et bien pensée, les phrases sont belles et fortes – un peu trop diront certains. Que dire si ce n’est que c’est un excellent livre qu’il faut absolument lire.


Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck, Le Livre de Poche, 2009, Amazon.