On a beaucoup parlé de La théorie de l’information lors de la rentrée littéraire 2012 dont il a été LE premier roman. Est-ce que toute cette couverture médiatique était méritée ? Eh bien la réponse est oui, sans hésitation. Tout le monde connaît un peu l’histoire qui est celle de Pascal Estranger créateur de la société Ithaque et du fournisseur d’accès Internet Démon double romanesque du puissant patron d’Iliad, la maison mère de Free, le prophète des temps modernes Xavier Niel.

La narration est simple, zéro artifice. Pas de retour arrière, de saut dans le temps, pas de perspectives différentes, rien. Ca ne l’empêche pourtant pas d’être efficace et agréable. Ce n’est pas la peine de le cacher, et c’est un euphémisme, l’auteur a des choses à dire et des choses intéressantes – et il ne commet pas d’erreur pour autant que je puisse en juger. Il n’a donc pas besoin de tenir artificiellement le lecteur en haleine, l’histoire qu’il raconte est autosuffisante. En la lisant, je me suis rendu compte que l’intérêt de cette histoire récente des réseaux est largement sous-estimée. Elle est passionnante et l’est encore plus si on l’a vécu – pour ma part les souvenirs du Minitel datent de l’enfance mais sont tout de même présents. L’importance de cette évolution, cet avénement de la communication dans l’histoire n’est pas encore reconnu à sa juste valeur même si certains parlent de troisième révolution industrielle – il n’y qu’à voir la place toujours croissante qu’elle occupe dans nos vies pour s’en convaincre.

La mise en texte ne présente pas plus d’artifice que la narration. Les phrases sont souvent courtes mais toujours simples et naturelles – je veux dire par là qu’elles ne sont pas artificiellement courtes comme chez certains romanciers. Ce style dont l’une des caractéristiques principales est l’efficacité s’efface devant l’histoire. Il permet à l’auteur de raconter les évènements de manière claire, précise et point – j’ai entendu l’adjectif “wikipedien” que je trouve opportuniste et inadapté dans le cas de ce livre dont le niveau d’écriture reste tout de même très bon. Il convient parfaitement à l’histoire qui est racontée. On sait qu’Aurélien Bellanger est un admirateur de Houellebecq – il lui a consacré un essai Houellebecq, écrivain romantique1 – et certains critiques trouvent que son style se rapproche de celui de l’auteur des Particules élémentaires. Mon avis est qu’ils n’ont strictement rien à voir. Ou alors on ne parle que de quelques passages de son dernier livre La carte et le territoire mais je trouve cela bien réducteur.

Ne cherchez pas non plus le romanesque, il n’y en a pas. Pourtant ça fonctionne – au moins au début –, on tourne les pages et on apprend énormément de choses, d’anecdotes croustillantes et l’évocation de ce passé récent nous pousse à regarder notre présent autrement – est-ce que Facebook n’est pas le digne successeur du Minitel Rose. Il n’y a pas d’histoire ajoutée artificiellement pour créer du suspense. Derrière la technologie n’oublions pas l’esprit d’entreprendre qui est omniprésent dans ce livre. Sans oublier, l’audace – l’annuaire inversé –, la défense de ses convictions et de ses idées même lorsqu’elles ne sont pas dans l’air du temps ou lorsqu’elles s’opposent à des puissances au pouvoir. Cette voracité du personnage principal dans ce domaine contraste avec l’extrême fadeur de sa vie privée – difficile de tout concilier. Le parallèle ambitieux entre monde réel et monde numérique est d’ailleurs, sur plusieurs volets, le fil rouge du livre.

Il avait demandé à des juristes de travailler sur cette question : les câbles de cuivre installés par France Télécom à l’époque où elle était une société publique pouvaient-ils demeurer sa propriété exclusive, maintenant qu’elle était devenue une entreprise privée ?

Même si la lecture est agréable, les amateurs de littérature avec un grand L seront déçus. Ce n’est pas l’objectif de ce livre qui est a mi-chemin entre un roman et un essai. Il faut reconnaître qu’il est très bien documenté et qu’il a dû nécessiter un énorme travail. La contrepartie est qu’il faut tout de même s’intéresser un minimum à ce sujet pour entreprendre la lecture d’un tel livre. J’ai passé un bon moment, appris des choses et réfléchi – c’est déjà pas mal. Le bilan est plutôt bon même si le plaisir de lecture a décru au fil des pages. La fin notamment, un peu trop ambitieuse à mon goût, n’est pas la partie la plus réussie du livre.

À mesure que la complexité de la société et des problèmes auxquels elle doit faire face iront croissant, et à mesure que les dispositifs deviendront plus “intelligents”, un nombre toujours plus grand de décisions leur sera confié. […] Un jour, les machines auront effectivement pris le contrôle. Les éteindre ? Il n’en sera pas question. Étant donné notre degré de dépendance, ce serait un acte suicidaire. […] Dans une telle société, les êtres manipulés vivront peut-être heureux ; pour autant, la liberté leur sera clairement étrangère. On les aura réduits au rang d’animaux domestiques. (Bill Joy – Wired, 2000)


Aurélien Bellanger, La théorie de l’information, Gallimard, 2012, 496 p, Amazon.


  1. Aurélien Bellanger, Houellebecq, écrivain romantique, Editions Léo Scheer, 2012, 299 p, Amazon↩︎