Six mois ont passé et l’on peut trouver en librairie un petit livre de 64 pages, sans indication de genre, avec, comme tous les livres de Jean Echenoz, le liseré bleu et l’étoile qu’avait dessinée Vercors pour les Éditions de Minuit, et ce titre inédit Jérôme Lindon, comme si, et c’est peut-être vrai, le plus bel hommage qu’un éditeur puisse recevoir fût de devenir un titre de son propre catalogue, non pas un nom gravé sur un monument aux morts, mais une simple ligne vivante parmi tous les textes qu’il a fait naître pour qu’ils nous survivent.[…] Jérôme Lindon est l’essence même de ce qui liait Jean Echenoz à Jérôme Lindon : l’auteur porte un texte à son éditeur, parce que c’est ce que l’un fait de mieux, et c’est ce que l’autre préfère. (Jean-Baptiste Harang – Libération, 18 octobre 2001)

Comment parler mieux que cela de ce texte ? Nous avons entre les mains un vrai hommage. Une marque de respect d’un écrivain envers son éditeur. Jean Echenoz nous le dit, Jérôme Lindon n’était pas un père de substitution un confesseur ou un psychologue, non il était éditeur. Un vrai. Il avait des convictions, une éthique et a imposé durablement sa marque au sein de la littérature française – elle lui a d’ailleurs survécu. Mais tout cela, Jean Echenoz ne le dit pas, ce texte n’est pas une biographie et encore moins une hagiographie. Il rend au contraire un hommage simple, discret, pragmatique construit aussi naturellement que possible à partir de faits qu’il a vécu. Il applique à la lettre ce que disait Malraux dans La condition humaine1: “Un homme est la somme de ses actes, de ce qu’il fait, de ce qu’il peut faire. Rien d’autre.”

Il y a d’abord l’histoire d’une rencontre entre un jeune homme et un homme imposant, impressionnant qui était déjà un nom dans le monde de l’édition. Puis ce sont des anecdotes, des conversations, des repas – toujours au Sybarite –, brefs des moments qui rapprochent, au fil des années, imperceptiblement les deux hommes.

Puis les années qui suivent il ne m’appelle ni par mon nom ni par mon prénom, et puis, comme de temps en temps nous nous écrivons, un jour sa lettre commence par: Cher Jean. À partir de ce jour-là je me permets de l’appeler Jérôme. Jusque-là, il n’y avait que mon fils que j’appelais comme ça.

Et puis …

Ça s’arrête un matin gris, dans une rue de Trouville, le jeudi 12 avril 2001


Jean Echenoz, Jérôme Lindon, Minuit, 2001, 45 p, Amazon.


  1. André Malraux, La condition humaine, Édition : Editions Hachette., Gallimard, 1972, 337 p, Amazon↩︎