Dès l’ouverture du colis, la découverte du livre a été une bonne surprise. Tout commençait donc très bien. Le format souple d’une taille plus petite que la moyenne se révèle très satisfaisant et très agréable à manipuler. La couverture est magnifique. Il faut observer la profondeur de l’image, le cadrage, les détails, le mouvement des personnages au premier plan et enfin les couleurs. Elle donne le ton car le reste de l’album est à l’avenant, magnifique. Les dessins ligne claire sont très réussis et la mise en couleur ne l’est pas moins. Les jeux d’ombres et de lumières mettent en valeur l’ambiance du Barcelone du milieu du siècle dernier, celle de la Rambla et des bar à tapas - même si l’action se déroule en grande partie à l’intérieur des logements ou dans des bureaux. Et pour cause, puisqu’il s’agit d’une histoire de gratte-papiers et plus précisément de dessinateurs de bandes dessinées. Cinq des plus talentueux de leur époque ont décidé de conquérir leur indépendance en lançant leur propre magazine de bandes dessinées alors que la maison d’édition Bruguera règne sans partage sur ce milieu en Espagne.

Il faut dire que les conditions dans lesquelles travaillaient les dessinateurs étaient assez précaires. Payés à la planche, ils subissaient la dictature du stylo rouge du directeur de la rédaction qui tentait ainsi de passer entre les mailles de la censure – Franco était encore au pouvoir à cette époque. Une fois payées, les planches originales devenaient la propriété de la maison d’édition qui pouvait décider de les publier à nouveau sans rémunérer les auteurs. Dans ces conditions, on comprends mieux les motivations qui ont poussées ces hommes à tenter l’aventure malgré une conjoncture difficile.

Il s’agit bien d’un pan de l’histoire qui est rapporté ici même s’il s’agit de celle de la bande dessinée et de l’édition. C’est aussi une belle aventure humaine, celle vécue par des hommes passionnés défendant leurs idéologies et leur art.

Je ne sais pas si vous réalisez, mais nous avons créé le premier magazine fondé et dirigé par ses propres auteurs, une première dans le pays et peut-être dans le monde.

La réalisation de cette BD est remarquable, une narration dans un ordre non chronologique donne une touche supplémentaire de raffinement à l’ensemble. L’auteur, Paco Roca, s’est particulièrement bien documenté et a su saisir et retranscrire la psychologie des personnages. Le dessinateur Manuel Vàsquez et surtout le terrible directeur de la rédaction de Bruguera Rafael Gonzàlez en sont deux exemples. Ce dernier est d’ailleurs le personnage le plus complexe et le plus intéressant de ce récit.

C’est une franche réussite qui allie un sujet original – aux nombreuses ramifications – à une réalisation impeccable. Paco Roca a rendu un magnifique hommage à ses ancêtres. En lisant cette BD, ces pionniers, aujourd’hui disparus, auraient été fiers de voir ce qu’est devenue la bande dessinée espagnole.

Je remercie les éditions Rackham ainsi que Babelio de m’avoir fait parvenir ce livre dans le cadre du programme Masse critique.


Paco Roca, L’Hiver du dessinateur, Rackham, 2012, 100 p, Amazon.