Dès que j’ai vu la couverture de ce manga, j’ai su qu’il était pour moi. J’ai alors immédiatement réservé les quatre tomes qui composent la série à la bibliothèque et attendu avec impatience – c’est la première fois que je réserve un livre à la bibliothèque. Deux choses très liées m’ont tout de suite attiré. La première est ce personnage énigmatique dont le visage est presque entièrement masqué par sa barbe et ses cheveux. On ne sait pas qui il est vraiment et pas du tout ce qu’il pense – aucune expression ne peut être lue au travers de ces broussailles. La deuxième, qui a été confirmée en feuilletant les pages, est le magnifique dessin ligne claire réalisé avec beaucoup de goût et une grande science de la mise en page, nous y reviendrons.

L’histoire, à la fois simple et originale est tirée du roman éponyme – j’adore écrire ce mot, il n’est pas facile de l’employer, mais je ne rate pas une occasion – de Shûgorô Yamamoto (écrivain japonais 1903 – 1967). C’est une adaptation libre car Minetaro Mochizuki a choisi de transposer dans une période contemporaine ce roman dont l’intrigue se déroulait dans la période Edo. Ce choix s’avère payant car, en plus de lui conférer une grande modernité, il lui a permis d’exprimer son bon goût qui se manifeste notamment au travers du look des personnages. J’ai rarement vu quelque chose d’aussi réussi, à la fois moderne et harmonieux. Le choix de mise en page très contemplatif – dans le plus pur style manga – les met particulièrement en valeur en s’attardant sur des parties des personnages, surtout des jambes. Regarder les jambes des filles n’est pas le seul intérêt, cette vision de l’intérieur, plus proche de celle des personnages dont le regard peut se perdre ainsi lors d’une conversation, permet au lecteur de quitter sa position d’observateur externe pour les rejoindre au coeur de l’histoire.

Pour en revenir à l’histoire justement c’est celle d’un maître charpentier qui tente de sauver l’entreprise familiale après la mort de ses parents et qui se retrouve entouré dans sa vie privée de deux très jolies jeunes filles – si vous avez bien suivi, vous aurez combiné “jolies jeunes filles” + “s’attardant sur des parties des personnages, surtout des jambes” = pas trop désagréable à regarder, c’est le moins que l’on puisse dire – et de plusieurs enfants orphelins. Ces éléments structurants vous laissent imaginer tout ce qu’il peut se passer.

Un homme a intérêt à se montrer entêté plutôt que lâche.

Le choix risqué ne pas adapter cette oeuvre classique en ajoutant du sensationnel et de l’exagération, mais en soulignant la poésie du quotidien s’avère payant. On n’a pas l’impression de se passionner pour cette histoire et pourtant il est difficile de lâcher ces quatre tomes avant de les avoir terminé et de jouir de la grande satisfaction d’avoir lu quelque chose de beau.

P.-S.: Il convient également de souligner le très beau travail d’édition réalisé par le lézard noir sur ces ouvrages.


Minetaro Mochizuki, Chiisakobé #1-4, traduit par Miyako Slocombe, Le Lézard noir, 2015, 200 p, Amazon.