Elle [l’humanité] a cru avoir vaincu la faim et la maladie, aboli les distances et dompté la Terre, bref: elle s’est crue invincible. Mais toute chose a son prix, et pendant que certains se gavaient de choses inutiles, d’autres sacrifiant leurs courtes vies à les fabriquer, au péril de leur santé, de leur environnement et de l’ensemble de la vie sur Terre.

Je connaissais uniquement Thomas Cadène pour son travail sur le projet – appelons-le comme ça – les autres gens1 qui dans son approche était assez original puisqu’il remettait au gout du jour le format du feuilleton en publiant en ligne une bande dessinée dont il écrivait le scénario alors que différents dessinateurs (plus de 100 au total) se passaient le relais au fil des chapitres. J’avais déjà trouvé le concept et la réalisation intéressante, mais là, avec Soon c’est un gros coup de coeur. Rien à voir il s’agit d’une BD d’anticipation qui colle tellement à l’actualité que ce n’est plus de la science-fiction, mais de la prospective. Elle se projette un tout petit peu, en 2150, pour nous donner une version de ce que pourrait devenir l’humanité à très court terme. Et bizarrement tout converge, le réchauffement climatique, les épidémies, la généralisation des masques et la pollution qu’engendre à leur tour ces nouveaux kleenex, etc. Tout ce que cette BD raconte raisonne très fort et avec beaucoup de pertinence. L’exemple de la bouteille d’eau dans la salle du musée reconstituant la vie au 21ème siècle et encore une fois éloquent – je dis encore une fois car j’avais relevé un exemple similaire dans le livre d’Aurélien Bellanger, L’aménagement du territoire.

Selon vous quel est l’objet à mes pieds [on voit une bouteille d’eau de 33cl, croisée et abandonnée sur le trottoir]? Ne cherchez pas il n’y a pas d’étiquette. Une genre de gourde ? Presque. C’est une bouteille jetable. Elle a été fabriquée en plastique. C’était un dérivé du pétrole. Si je vous en parle, c’est parce ce que pour le produire, il a fallu de l’eau en plus de celle qu’elle contient, je vais dire: deux fois plus en moyenne. Ensuite pour arriver jusqu’au consommateur, elle a parcouru de très longues distances, dans des transports très polluants. Toute cette énergie pour quoi ? Pour finir, dans la majorité des cas, jetée à la poubelle après avoir été bue !

Toutes les explications concernant les grandes étapes subies par la planète, et en retour par l’humanité, sont décrites dans de grandes doubles pages – qui sont une revisite très modernisée des frises chronologiques et autres exposés de notre enfance – très travaillées qui se rapprocheraient plus d’un travail d’infographie que de planches de bande dessinées si elles ne conservaient pas un dialogue et un rythme au travers des bulles. Il y en a beaucoup et c’est une partie du livre qui traite d’un point de vue général disons historique alors qu’une autre partie, adoptant un graphisme et une narration plus classiques, s’intéresse à l’histoire de certains personnages. Et j’en profite pour évoquer le travail de Benjamin Adam au dessin qui propose un trait et une ambiance qui correspondent parfaitement au propos. Cette originalité, ce parti pris graphique et le choix de cette gamme de couleur démarquent cette BD pour en faire un objet très travaillé et très abouti doté d’une esthétique et d’une ambiance qui lui sont propre et qui en font un tout très convaincant.


Cadène, Thomas & Adam, Benjamin. Soon - intégrale. Dargaud, 2019.


  1. Collectif. Les autres gens. Dupuis, 2011. ↩︎