Aaron Swartz est l’un de ces génies fulgurants, une étoile filante, son domaine, l’informatique, son combat, l’accès à la connaissance. Comme d’autres comme lui – citons par exemple Ettore Majorana raconté dans En cherchant Majorana –, il évoluait très loin au dessus du lot. Au lieu de se contenter comme tant d’autres – citons par exemple Mark Zuckerberg – de faire de l’argent, il avait l’ambition de changer le monde, il s’est battu pour le libérer et on peut dire qu’il y est un peu parvenu – au moins disons qu’il a peut-être contribué à éviter le pire. On lui doit, outre Reddit qui n’est pas sa meilleure contribution au bien commun – quoi que tout le monde ne sera pas de cet avis – son travail sur les licences Creative Commons (CC) permettant de partager la connaissance tout en garantissant la propriété intellectuelle, l’Open Library, son influence sur la non adoption des lois de censure (Stop Online Piracy Act), mais aussi, plus prosaïquement, le langage Markdown (en collaboration avec John Gruber) que j’utilise tous les jours et qui n’est étrangement pas mentionné dans ce livre.

Il s’agit de tenir jusqu’à trente voire cinquante ans sans se tirer une balle dans la tête.

Cette citation, qu’il avait reprise à son compte, est d’un autre grand dépressif qui s’est lui aussi suicidé, David Foster Wallace. Aaron Swartz s’est battu pour libérer la connaissance, a milité contre la censure et combattu le pouvoir. Il y laissé la vie. Comme Kafka, qu’il a lu et bien d’autres, il était trop intelligent pour ce monde trop égoïste, vénal et cruel. Il serait dégoûté de ce qu’internet est devenu – il a eu la chance dans son malheur de ne pas connaître TikTok. Il l’avait vu arriver, le phagocytage des cerveaux, le détournement de ce fabuleux outils à des fins commerciales. Il était décidément un visionnaire. Depuis sa mort la situation n’a cessé de se dégrader.

Des décennies de confort et d’illusion matérialistes nous ont rendus tristes et seuls, doutant du sens de la vie. Au point d’élire un clown tyrannique. Trump est notre production collective, la résultante de l’énorme entreprise d’atomisation sociale qu’est devenu Internet aux mains des intérêts privés. Elle parachève l’oeuvre d’accaparement. Trump en est le plus grand utilisateur de tous les temps : Twitter est son mégaphone personnel, Google son meilleur outil de ciblage, Reddit le forum des soutiens suprémacistes, Facebook l’arme de prédilection des trolls et des manipulateurs de foule qui le servent.

Flore Vasseur, que j’avais déjà lu il y a longtemps dans Comment j’ai liquidé le siècle, se tire assez bien de cet exercice – même si j’ai eu des doutes au départ et si j’ai craint à plusieurs reprises la sortie de route. Dommage cependant qu’en hommage au jeune robin des bois de la connaissance qui nous a quitté trop tôt, elle n’ait pas mis son livre à disposition du plus grand nombre en le plaçant sous licence Creative Commons.


Vasseur, Flore. Ce qu’il reste de nos rêves. Equateurs, 2019.