Ettore Majorana était un génie, une étoile filante dans le ciel de la physique du XXe siècle. Son domaine, l’infiniment petit, la physique quantique. A l’âge de 31 ans à peine, il disparaît. Purement et simplement évanoui dans la nature. Qu’est-il devenu ? Une seule chose est sûre, il s’est retiré du monde.

 C’est à ce moment précis que Majorana devient pour Carelli un chat de Schrödinger, c’est-à-dire la superposition quantique d’un être vivant et du même être mort.

C’est Étienne Klein, un autre physicien et directeur de recherche, qui va partir sur ses traces, mener l’enquête et se passionner pour le sujet. Il va tenter de percer le mystère de cet homme hors du commun. Il nous prouve de façon magistrale que l’on peut être à la fois homme de science et homme de lettre. Au fil de la lecture se dessine en creux son violon d’Ingres: l’alpinisme. Il parvient à trouver le juste milieu entre didactisme et vulgarisation – pas toujours évident lorsque l’on est un spécialiste et que l’on aborde un sujet tel que la physique quantique.

Son travail est irréprochable, il n’occulte pas, au risque de ternir le mythe, certaines facettes de Majorana comme son côté sombre qui fera surface pendant la montée du nazisme.

[…] enfin, les génies, de la trempe de Galilée et de Newton. Majorana est de ceux-là ; il a des dons qu’il est le seul au monde à posséder. Malheureusement, il lui manque ce qu’il est courant de trouver chez les autres hommes : le simple bon sens. Et sans ce pragmatisme ordinaire, la vie quotidienne peut facilement tourner au désastre.

Je suis toujours impressionné de lire des choses à propos des grands génies, je pense à d’autres physiciens comme Richard Feynman ou John von Neumann. Souvent ces génies sont des êtres tourmentés capables d’appréhender des concepts extrêmement complexes, invisibles pour le commun des mortels, et sont tout simplement incapables de vivre dans le monde réel. Je pense également à Kurt Gödel dans le domaine des mathématiques ou, plus proche de nous, à Grigori Perelman (le livre Dans la tête d’un génie1 lui est consacré), mais puisque ce livre rapproche la science et la littérature, Franz Kafka vient aussi à l’esprit. Voici la réaction qu’eut Milena (Lettres à Milena2) à l’annonce de la mort de l’auteur de la Métamorphose, j’y vois un étrange parallèle avec le destin de Majorana – j’ai déjà cité ce passage, mais je ne résiste pas à la tentation de le refaire car il me plaît énormément.

Il était trop lucide, trop sage pour pouvoir vivre, trop faible pour combattre, faible comme le sont des êtres beaux et nobles, qui sont incapables d’engager le combat avec la peur qu’ils ont de l’incompréhension, de l’absence de bonté, du mensonge intellectuel, parce qu’ils savent d’avance que ce combat est vain et que l’ennemi vaincu couvre encore de honte son vainqueur. Il connaissait les hommes, comme seul peut les connaître quelqu’un de grande sensibilité nerveuse, quelqu’un qui est solitaire et qui reconnaît autrui à un simple éclair dans son regard. Il connaissait le monde d’une manière insolite et profonde, lui-même était un monde insolite et profond.

A lire aussi:


Etienne Klein, En cherchant Majorana, Flammarion, 2013, 170 p, Amazon.


  1. Masha Gessen, Dans la tête d’un génie, traduit par Evelyne Châtelain, Globe, 2013, 276 p, Amazon↩︎

  2. Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1997, 364 p, Amazon↩︎