L’homme en noir fuyait à travers le désert, et le Pistolero le suivait.

Comment ne pas poursuivre la lecture après une telle phrase ? Une simple phrase qui provoque, telle une réaction en chaîne, une foule de questions. Qui est cet homme en noir ? Qu’a-t-il fait pour fuir ainsi à travers le désert ? Ce n’est pas particulièrement accueillant le désert, comment va-t-il faire pour s’en sortir ? Pourquoi est-il habillé en noir ? Ce n’est pas très pratique le noir dans le désert, tout d’abord on se fait facilement repérer – surtout lorsqu’un homme portant le nom de Pistolero vous suit – et puis il fait chaud car le noir absorbe le soleil. Ensuite on pense au Pistolero, quel drôle de nom. On n’a pas trop envie de se frotter à quelqu’un que l’on appelle le Pistolero. Bon enfin, je vais arrêter là, je pense que vous avez compris.

Les accroches sont souvent très importantes. Je me rappelle l’anecdote que raconte Daniel Pennac dans Comme un roman1. Pour faire lire à ses étudiants Le Parfum2 de Süskind, il se contente de lire la première page sans rien dire d’autre, aucune incitation, aucun argumentaire – lisez-la et vous verrez (sentirez). Et la magie opère. Tous les étudiants veulent savoir la suite et vont se ruer dans une librairie pour acheter le livre, le virus de la lecture leur a été inoculé simplement par cette simple page d’écriture. La démonstration a été bien plus efficace qu’un long discours argumenté. Chacun des étudiants présent ne verra plus cette activité comme quelque chose de barbant mais comme un formidable terrain d’exploration et d’émerveillement.

Mais revenons à ce Pistolero qui, nous venons de le voir a réussi son amorce. Si l’on poursuit la lecture au delà de cette première phrase, on se rendra vite compte qu’il s’agit d’un livre hybride unique en son genre : un western post-apocalyptique mâtiné de fantasy et d’horreur. Ce cocktail s’inspire de plusieurs sources clairement identifiables : Le Seigneur des Anneaux, la légende arthurienne et le film Le Bon, la Brute et le Truand.

De tous les déserts, celui-là était l’apothéose, immensément posé sous le ciel et couvrant jusqu’à plusieurs parsecs en tous sens. Blanc ; aveuglant ; aride ; sans rien pour le rompre sinon la traînée brumeuse des montagnes se découpant sur l’horizon et l’herbe du diable, porteuse de songes délicieux, puis de cauchemars, et de mort.

Le Pistolero est le premier livre d’une série de sept aujourd’hui terminée qui se nomme La Tour sombre. La rédaction de cette série a pris plus de trente ans à Stephen King et elle contient des éléments très personnels comme des références explicites à ses livres ou l’évocation d’un accident de la route qui a failli lui couter la vie.

Je ne peux pas m’empêcher de digresser tant il y a matière à le faire lorsque l’on s’intéresse à cet oeuvre foisonnante. L’histoire est bien entendu surprenante et pourra même s’avérer complexe et perturbante pour ceux qui n’entreront pas en résonance avec l’auteur. L’écriture est assez imagée et l’on sent la jeunesse de l’auteur dans les premiers chapitres parfois un peu chargés. En conclusion, ce roman d’aventure plaira au-delà du raisonnable à certains et rebutera purement les autres. Il ne laisse pas indifférent et a l’avantage de proposer autre chose, un univers totalement nouveau et original comme théâtre d’une grande saga.


Stephen King, La Tour Sombre, Tome 1 : Le Pistolero, J’ai Lu, 2006, 254 p, Amazon.


  1. Daniel Pennac, Comme un roman, Gallimard, 1995, 197 p, Amazon↩︎

  2. Patrick Süskind, Le Parfum, Le Livre de Poche, 2006, 279 p, Amazon↩︎