Dans ce livre qui n’est pas, contrairement à ce que le titre pourrait le laisser croire, un roman, l’auteur de D’autres vies que la mienne1 cette fois raconte sa propre vie. Enfin, une partie marquée par trois grandes préoccupations ou trois grands thèmes. Le premier est un reportage à Kotelnitch réalisé pour l’émission Envoyé Spécial afin de raconter l’histoire du dernier prisonnier hongrois retenu en Russie. La découverte de cette ville et de ses habitants va le pousser à modifier son projet initial. Le second est une histoire d’amour avec la belle Sophie qui se noue au début du reportage. C’est un amour passionnel, une histoire chaotique et tourmentée que s’apprête à vivre Emmanuel Carrère. Le troisième est une enquête sur ses origines et plus précisément sur son grand-père. Cet intellectuel géorgien issue d’une famille de notables (la famille Zourabichvili) a connu un destin tragique. Son caractère ombrageux s’est noirci au fil du temps pour s’approcher lentement de la folie. Sa disparition sur fond de fin de guerre et de collaboration reste aujourd’hui encore un mystère.

Et puis, au fil du livre se dessine un quatrième thème qui va progressivement devenir le plus important du livre. Il s’agit tout simplement des relations avec la mère de l’auteur, l’académicienne et grande spécialiste de la Russie Hélène Carrère d’Encausse. Le grand-père en question était son père et la Russie sa patrie.

Cela changera peut-être un jour, je ne sais pas, mais les mots dont je dispose ne peuvent servir à dire que le malheur. Ils ont servi, cette fois encore. Je n’ai pas sauté par la fenêtre. J’ai écrit ce livre. Même s’il te fait du mal, tu admettras que c’est mieux.

Ce livre où, selon l’auteur, “tout est vrai, à l’exception de quelques broutilles” est d’une impudeur totale – a côté le naturisme est une activité réservée aux pudiques. Ecrire noir sur blanc ses faiblesses, dévoiler ses pensées les plus intimes, révéler des informations de sa vie privée et de celle de sa famille est assez surprenant. Après ce livre, plus besoin de psychanalyse, tout est dit ou presque. Certains reprochent le nombrilisme de l’auteur. Je ne suis pas de cet avis principalement pour deux raisons. La première est que Carrère n’est pas n’importe qui et que ses réflexions et la façon de les raconter revêtent un intérêt tout particulier. La seconde, plus subtile, agit comme un miroir pour le lecteur qui retrouvera peut-être dans ce récit des fragments le renvoyant à sa propre expérience, à ses doutes, à ses douleurs ou à ses interrogations.

Malgré ces points positifs, ce livre n’est pas exempt de défauts. Dans la forme, il peut parfois apparaître comme un agrégat, un patchwork à la construction aléatoire. Sur le fond, l’histoire de son grand-père n’est finalement qu’évoquée et les relations avec sa mère n’apparaissent qu’en creux dans le récit. Dommage car ces deux aspects me semblaient plus intéressants que l’histoire d’amour avec Sophie.


Emmanuel Carrère, Un roman russe, Folio, 2008, 400 p, Amazon.


  1. Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, Gallimard, coll. « Folio », 2010, Amazon↩︎