En bande dessinée, lorsque le dessinateur et le scénariste ont bien fait leur travail, paradoxalement ça ne se voit pas. Dans ce cas, on ne remarque pas une admirable transition ou des dimensions de cases particulièrement appropriées. Ce que le lecteur ressent reste au niveau de l’expérience de lecture, il va parler d’un rythme, d’une impression de fluidité. Bref on apprécie le résultat, l’effet produit et non les ficelles qui ont permis cette prouesse. C’est à cet endroit précis que réside l’art invisible et c’est tout le propos de Scott McCloud de nous montrer combien cet art, ce fameux 9ème art, est magique. Pour cela, il part de très loin en remontant le temps à la recherche des premières traces “d’art séquentiel” mais aussi et surtout à la source des processus complexes (cognitifs) mis en oeuvre par notre cerveau pour que la magie opère. Il insiste sur l’importance des blancs entre les cases — qui les avait remarqué —, ils permettent au lecteur d’imaginer ce qui s’est passé entre les deux cases, de faire lui-même la transition, de laisser libre cours à son imagination. Ce que je dis là est extrêmement réducteur par rapport à la justesse, à la pertinence et à la richesse de ce livre.

Malgré la justesse de son propos, je crois que c’est sur la forme, que ce livre est le plus bluffant. Il est difficile de parler de la BD avec des mots — je m’en rends compte concrètement —, quoi de plus simple et de plus naturel qu’employer ce support pour en parler. Alors tout devient clair immédiatement. Le résultat est étonnant, les messages passent clairement, naturellement, sans effort. Un tel livre prouve, s’il en était encore besoin, que la bande dessinée peu s’élever loin au dessus de son statut d’art mineur — dans le meilleur des cas, quand elle n’est pas considérée comme une distraction réservée aux enfants ou au adultes immatures. La complexité, la richesse et les possibilités qu’offre la bande dessinée sont immenses et démontrent qu’elle est encore sous-exploitée — je ne parle pas du côté commercial qui a perçu son intérêt depuis bien longtemps.

Ce livre plusieurs fois récompensé, en plus d’être passionnant et agréable à lire, est un ouvrage de référence que tout amateur de BD se doit d’avoir lu. Scott McCloud est un grand théoricien de la bande dessinée, il poursuit le travail initié par Will Eisner. Pourtant, tel un grand orateur et sans faire une seule concession à l’exactitude ou à exhaustivité, il délivre son message clairement et pleinement.

Scott McCloud a publié, en utilisant le même procédé, deux autres ouvrages qui traitent de sujets connexes: l’élaboration d’une bande dessinée dans Faire de la bande dessinée1 et une vision du futur de la bande dessinée évoluant vers d’autres milieux et tirant partie des nouvelles technologies dans Réinventer la bande dessinée2.


Scott McCloud, L’Art invisible, Delcourt, 2007, Amazon.


  1. Scott McCloud, Faire de la bande dessinée, Delcourt, 2007, 269 p, Amazon↩︎

  2. Scott McCloud, Réinventer la bande dessinée, Vertige Graphic, 2002, 224 p, Amazon↩︎