Canaille…, Nougat…, Sauvage…, Aztèque…, Grenouille…, Iconoclaste…, Macaque…, Parasite…, Renégat…, Canaque…, Anthracite…, Noix de coco…, Zouave…, Cannibale…, Invertébré…, Réglisse…

Vous connaissez tous le personnage qui profère ces insultes; il s’agit du vociférant compagnon de Tintin, le célèbre marin barbu: le Capitaine Haddock. Eh bien vous avez à la fois raison et tort car elles ont également été utilisées par Céline dans son livre Bagatelles pour un massacre1 publié avant Le Crabe aux pinces d’or2 d’où elles sont tirées (respectivement 1938 et 1940-41). Ces seize insultes sont présentes dans les deux ouvrages, quelle étrange coïncidence ! L’histoire aurait pu en rester là et demeurer une anecdote si le livre de Céline n’était pas l’un des pamphlets antisémites qu’il n’assumera pas tout au long de sa vie puisqu’il en interdira lui-même la réimpression. Leur date de publication et les milieux dans lesquels évoluaient Louis Destouches et Georges Remi devenus Céline et Hergé – “c’est-à-dire R. G., ses initiales inversées” – étaient proches sur tous les plans. L’hypothèse – et Émile Brami nous l’explique longuement dans son livre – est donc probable.

Enfin, s’il a effectivement pris dans Bagatelles pour un massacre, il était impossible au père de Tintin d’avouer une source aussi scandaleuse, d’accepter le voisinage avec le raciste, l’antisémite, le collaborateur, en un mot l’infréquentable Céline, d’autant plus qu’il avait lui-même connu quelques ennuis à la libération de son pays.

En tirant ce fil, Émile Brami déterre le passé trouble du génie de la bande dessinée. Sa thèse se résume en une image, Tintin serait le côté pile de l’auteur “fatigant à force de candeur et de boy-scoutisme. Lisse, presque absent” alors que son côté face serait le bien moins politiquement correct Capitaine Haddock “[…] bruyant, gaffeur et cyclothymique, et pour lequel Hergé avouait ‘une tendresse toute particulière’, que Tisseron désigne, peut-être parce que la polysémie du nom, intentionnelle ou pas, consciente ou non, vient sans cesse nous rappeler que le marin barbu est bien le vrai fétiche, le substitut ad hoc”

Après la polémique soulevée par Tintin au Congo3, cette affaire pourrait bien apporter de l’eau au moulin des détracteurs de la star de la BD.


Emile Brami, Céline, Hergé et l’Affaire Haddock, Ecriture, 2004, 122 p, Amazon.


  1. Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, Denoël, 1937, 226 p. ↩︎

  2. Hergé, Les Aventures de Tintin, tome 9 : Le Crabe aux pinces d’or, Casterman, 1980, 62 p, Amazon↩︎

  3. Hergé, Tintin au Congo, Casterman, coll. « Les aventures de Tintin », 1998, 59 p, Amazon↩︎