Le titre de cette BD ne porte pas le sens que l’on pourrait lui prêter de prime à bord. Ce n’est pas du tout une maison fun, mais plutôt une drôle de maison dans le sens français de curieux ou étrange – je ne sais pas si ce double sens est vrai en anglais. Fun est en fait le diminutif de funeral home (funérarium) ce qui est tout de suite beaucoup moins drôle.

Je l’ai déjà dit en parlant d’une autre grande BD autobiographique, L’Ascension du Haut Mal, mais je le répète ici, seul le récit autobiographique permet d’atteindre cette profondeur, cette densité. On obtient alors, comme c’est le cas ici, une oeuvre d’une richesse et d’un justesse que la fiction peine à égaler.

L’auteur raconte l’histoire de son père, un personnage complexe et ambivalent, qui a marqué sa vie et qu’elle cherche à comprendre à mesure qu’elle grandit.

Si mon père avait une fleur préférée, c’était le lilas. Un spécimen botanique tragique qui commence à se faner avant même d’atteindre son apogée.

En tentant de le comprendre, elle fait, son introspection et explore sa propre personnalité qui entre en résonance avec celle de son père. Elle analyse a posteriori sa propre évolution à l’aune de celle de son père. Le a posteriori est important car elle analyse en tant qu’adulte ses propres comportements et ceux de son père observés lorsqu’elle était enfant.

Vers la fin novembre, les constantes entrées de mon journal avaient cédé la place aux mensonges implicites de la page blanche, et des semaines entières sont passées sous silence.

Si l’histoire est subtile et complexe, la façon de la raconter l’est tout autant. On ne discerne pas le maillage du scénario. On plonge de plus en plus profond sans s’en rendre compte, l’intérêt de la lecture allant toujours croissant. Je ne vais rien révéler de cette histoire car ce serait forcément réducteur et permettrait à certains de ranger dans des cases cette BD que je tiens pour un chef-d’oeuvre – le mot est lâché, je ne l’emploi pas souvent. Sachez simplement, qu’en plus de tout ce que j’ai dit, elle est truffée de références et notamment dans le domaine de la littérature dans lequel elle cite abondamment deux des trois sommets du XXe siècle : A la recherche du temps perdu1, Ulysse2 – le troisième étant L’homme sans qualités3, à eux trois ils comptent plus de 6000 pages, une paille.

Alison Bechdel a également écrit C’est toi ma maman ? un livre consacré à sa mère cette fois dans lequel elle évoque notamment l’écriture de Fun Home et les bouleversements qu’elle a provoqué.


Bechdel, Alison. Fun Home. Traduit par Corinne Julve et Lili Sztajn, Denoël, 2013.


  1. Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Gallimard, coll. « Quarto », 1999, 2408 p, Amazon↩︎

  2. James Joyce, Ulysse, traduit par Jacques Aubert, Gallimard, coll. « Folio », 2013, 1664 p, Amazon↩︎

  3. Robert Musil, L’homme sans qualités, traduit par Philippe Jaccottet, Éd. du Seuil, 2011, 894 p, Amazon↩︎