Il était question d’autofiction dans Yoga d’Emmanuel Carrère, mais c’était vraiment de la rigolade à côté de Lunar Park. Un personnage principal qui est l’auteur, notamment, de Moins que zéro, son premier roman, mais aussi et surtout de celui qui a grandement participé à bâtir sa réputation et son succès, le terrible American Psycho1. Bret Easton Ellis débute d’ailleurs son roman en reprenant les premières phrases de tous ses romans pour bien encrer son personnage dans la réalité. Ensuite, il fait intervenir son compère Jay McInerney – cette apparition pas très flatteuse a d’ailleurs été à l’origine d’une brouille entre les deux auteurs et amis. Puis il y a la fiction, ce Bret Easton Ellis là est hétéro – enfin, la plupart du temps – et est en couple avec une actrice, Jayne Dennis qui n’existe pas dans la réalité. Bref, le contexte est posé, il va jouer avec le lecteur tout au long de ce livre, et ce dernier ferait bien de connaître son oeuvre s’il ne veut pas passer à côté car les références sont nombreuses, notamment dans le choix des personnages, à tel point que l’on peut parler je pense – en fait je ne maîtrise pas complètement le concept – d’intertextualité.

“À la page 181, un livreur est assassiné de la même manière que Mr. Wu et, comme dans le livre, l’agresseur a écrit le même message que celui que Patrick Bateman écrit au dos de la note.” […]
“Pourquoi pensez-vous que cette personne ne va pas s’en prendre à moi ou à ma famille ?” J’en étais au point où je me balançais d’avant en arrière dans le fauteuil à bascule.
“Eh bien, l’auteur du livre n’est pas dans le livre, a été la réponse de Kimball, accompagnée d’un sourire qui se voulait rassurant et ne l’était absolument pas.

Le début du livre est très réussi. L’idée de citer ses propres livres permet de comparer l’évolution du style qui passe du minimalisme de Moins que zéro à la saturation de Glamorama. Avec Lunar Park il trouve le compromis parfait.

Qui se préoccupait désormais de la table VIP ou de tabasser les paparazzi sur le tapis rouge de la première d’un film ? Je me détendais dans les banlieues. Tout était différent: le rythme des journées, le statut social, les suspicions concernant les gens. C’était un refuge pour les moins compétitifs ; c’était la deuxième division.

Puis, petit à petit, le récit quitte ce genre sarcastique et drôle qui lui va si bien pour, entrainé par l’attraction conjuguée d’American Psycho et de présumés comptes à régler avec son père, s’orienter vers le thriller psychologique, puis progressivement vers l’horreur en complexifiant au passage le positionnement du narrateur. Et c’est peut-être là que se situe le problème de ce livre. Malgré tout son talent, n’est pas Stephen King qui veut et Ellis n’est jamais aussi bon que quand il fait du Ellis.


Ellis, Bret Easton. Lunar Park. Traduit par Pierre Guglielmina, 10/18, 2010.


  1. Ellis, Bret Easton. American Psycho. Traduit par Defossé, Alain, 10/18, 2005. ↩︎