Quelle surprise de découvrir cet ouvrage au titre qui interpèle. Que peux bien signifier le choix du chômage ? Ma compréhension – j’insiste sur le fait que je ne suis pas sûr d’avoir bien compris, car sans me trouver d’excuses, et nous y reviendrons, le sujet n’est pas facile – est que le chômage a été et est en France une variable d’ajustement, un mal nécessaire – ou un mal qui a été jugé comme nécessaire. La France a dû choisir – ou n’a pas eu le choix, je ne sais pas trop – d’emprunter sur les marchés pour se financer. Cette décision, quelle qu’en soit sa motivation, a érodé la souveraineté de la France en l’assujettissant aux lois du marché. Et les marchés ne goutent guère l’inflation qui nuit à la compétitivité. Et pour limiter l’inflation, rien de mieux qu’un taux de chômage élevé pour limiter les hausses de salaire et par là même l’inflation. Un schéma un peu différent, mais aboutissant aux mêmes conséquences, a pris le relais avec la naissance de l’Europe, l’adoption de la monnaie unique et la mise en place de règles budgétaires ayant mené à ce qui a été appelé l’austérité.

Tout ce processus est expliqué et mis dans son contexte avec une profusion de détails en s’appuyant sur des références plus que solides. Le journaliste Benoît Collombat et le dessinateur Damien Cuvillier sont allés à la rencontre des plus grands spécialistes de ce sujet et de ceux qui ont vécu ou ont été à l’initiative des évènements relatés. Le résultat est époustouflant, un ouvrage extrêmement dense, précis et exigeant qui mêle histoire, politique, économie et macroéconomie pour nous raconter plus d’un demi siècle de l’histoire politico-économique de notre pays. La construction européenne par exemple est retracée en détail et les auteurs vont même jusqu’à évoquer la récente pandémie.

Ils ont simplement mis “le gâteau de l’économie” au congélateur en disant: “on le sortira quand on pourra, le goût sera exactement le même et tout repartira comme avant”. Cette idée d’un “retour à la normale” est absurde. Toute le monde a bien compris qu’il y avait un problème avec le fonctionnement du capitalisme. Nous vivons la première crise interne à un système économique qui gère la nature d’une certaine façon et entraîne l’accélération des épidémies.

Il s’agit d’un essai, mais d’un essai en bande dessinée, ce qui est peut-être encore plus compliqué à réaliser. Le travail de dessin et de mise en page a dû être colossal pour représenter les intervenants, illustrer certains concepts ou principes par des schémas tout en donnant du dynamisme et un liant au livre. J’ai rarement lu un travail de ce niveau dans ce format et dans ce domaine, à côté La survie de l’espèce, publié chez le même éditeur, passe pour de la vulgarisation, ce livre se rapproche plus d’Economix1, l’une des références dans le domaine. Un ouvrage remarquable, un grand bravo aux auteurs et aux éditions Futuropolis d’avoir rendu possible un tel projet.


Cuvillier, Damien & Collombat, Benoît. Le choix du chômage: De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique. Futuropolis. 2021.


  1. Michael Goodwin et Dan E. Burr, Economix. La première histoire de l’économie en BD, Editions des Arènes, 2013, 304 p. ↩︎