Ce n’est pas un secret, ce Batman Dark Knight Returns de Franck Miller est un monument du comics et de la BD au sens large – il a même eu droit à son acronyme DKR. Le propre d’un monument est sa longévité. Même quelques 35 années, après, lire ou relire DKR est une expérience toujours aussi convaincante, prenante et pertinente – c’est-à-dire toujours en phase avec le monde dans lequel nous vivons. Même les dessins, ou plutôt les couleurs un peu passées ajoutent un charme à cet ouvrage comme la patine du temps sur un meuble ancien. Franck Miller s’est approprié un Batman vieillissant pour en faire quelque chose. Il fallait oser et le pari est largement gagné.

L’histoire, initialement découpée en quatre volumes regroupés dans une intégrale – initialement publiée par Delcourt et reprise désormais par Urban Comics –, est bien ficelée, à la fois facile à suivre, dense et suivant toujours une progression logique qui tient le lecteur en haleine. Les dessins sombres et violents servent à merveille cette histoire. En le lisant avec quelques décennies de recul, on est frappé par la volonté de Miller de dénoncer l’omniprésence des médias qui prennent le pas sur l’impuissance des politiques. Pour faire passer ce message, il utilise une technique assez novatrice pour l’époque – elle sera notamment beaucoup utilisée par la suite par des auteurs comme Brian Michael Bendis – qui consiste à raconter l’histoire au travers des commentaires que font les médias et les différents protagonistes par écran de télévision interposé. Il y a fort à parier que, si cette BD était écrite maintenant, ce pouvoir n’aurait pas été repris par les politiques, mais aurait en partie basculé vers les réseaux sociaux, nouveaux territoires de l’expression de la haine en caractères majuscules. Ce n’est pas une oeuvre que politique, l’aspect héroïque n’est pas oublié, bien au contraire. Il parvient à créer une synthèse, une oeuvre divertissante qui renouvelle le genre tout en restant fidèle à ses racines.

C’est un ouvrage du désenchantement, de la désillusion, de la fin de l’âge d’or des comics exactement comme le Watchmen1 d’Alan Moore qui date de la même époque. Elle préfigure aussi des oeuvres plus récentes – et moins visionnaires – comme la saga Civil War.


Miller, Frank. Batman: The Dark Knight Returns. Urban Comics, 2019.


  1. Moore, Alan, et Dave Gibbons. Watchmen. Urban Comics, 2012. ↩︎