J’avais tellement aimé Par les routes que je me suis mis en quête d’autres livres de Sylvain Prudhomme, et dans ce Légende aussi le protagoniste est photographe.

La pensée l’avait traversé que la pluie était là précisément pour ça: empêcher qu’il photographie. Les désarmer Matt et lui. Les obliger à cesser de capturer, d’immortaliser, de figer. Les forcer simplement à vivre, s’abandonner, être tout entiers aux choses. De ces jours il n’y aurait pas d’image. Ni film de Matt ni photos de Nel. C’était très bien ainsi.

Mais, là aussi, il s’efface pour laisser la place au passé, à la nostalgie peut-être. Celle d’une époque, de lieux, de personnes aujourd’hui disparus, mais aussi celle d’une tradition qui a traversé le temps. Parmi les lieux, il y en a plusieurs devenus mythiques qui ont rassemblé des personnes, contribué à nouer des rencontres et qui ont, à leur façon, changé un tout petit peu le monde. On ne sait pas toujours comment ils émergent, comment il se créent, ils n’obéissent qu’à une sorte de magie que l’on ne sait pas reproduire. Puis ils se sont évanouis définitivement. Il en va de même pour les êtres qui les ont peuplé, il ne survivent que sur certains clichés de façon bien dérisoire si personne n’est là pour les reconnaître, alors ils ne sont plus là que pour un certain temps, dans la mémoire de ceux qui restent.

Je me demande. Est-ce que c’est pas toujours un peu sa propre mort qu’on prépare en relisant la vie des autres. Est-ce que ce n’est pas surtout à ça que servent les histoires: nous tendre un miroir. Nous permettre de nous promener dans l’existence d’êtres qui ne sont plus et dont la vie est toute entière là, sous nos yeux, avec ses hauts et ses bas, ses périodes fastes et ses creux jusqu’au dénouement. À tenter de comprendre ce qu’ils ont cherché. Ce qu’ils ont souffert. Où ils ont réussi. Où ils ont échoué. Tout cela sans jamais cesser de penser à nous, vivants. À ce qu’ils peuvent nous apprendre. À ce que leur vie peut nous murmurer de conseils.

Il y a beaucoup de choses dans ce livre qui est pourtant assez resserré. Des choses qui pourraient sembler différentes, mais qui se mêlent comme dans la vie pour former un tout. Sylvain Prudhomme aurait pu faire un livre sur chacun de ces sujets, mais c’est finalement mieux comme ça. Son écriture et sa délicatesse font merveille dans ce roman intimiste.


Prudhomme, Sylvain. Légende. Gallimard, 2016.