Un intellectuel à l’usine, Robert Linhart, normalien, sociologue s’est fait embaucher dans une usine des 2 CV en 1968 en passant sous silence ses diplômes – le livre a été publié en 1978. Son objectif était double: dénoncer les conditions de travail aliénante de la chaîne et contribuer à la révolte. Ces conditions de travail se traduisaient par la répétition du même geste 10 heures par jour sous la pression de la chaîne qui avance impitoyablement ou sous l’injonction des quotas (boni) à respecter. C’est l’époque en France de la main d’oeuvre corvéable à merci issue de l’immigration. Il montre comment cette population plus vulnérable est littéralement exploitée. La direction a sous la main des employés d’autant plus dociles qu’ils savent qu’un faux pas leur vaudra plus qu’un licenciement, un retour au pays et donc la fin du financement de leur famille.

Et ce point nous amène au second volet de ce livre, la lutte contre cette exploitation et contre les méthodes de la direction. Robert Linhart ne se contente pas d’être observateur, il tente d’organiser le soulèvement de l’intérieur, tel un agent infiltré. Il fait alors face – et décrit très bien – les techniques – très élaborées – employées par la direction pour casser les grèves et les débrayages: intimidation, menace, humiliation, punition et corruption. Bref, dans ce registre, une inventivité à toute épreuve. Ce livre a 45 ans, mais reste pertinent à lire, il vient d’ailleurs d’être adapté au cinéma. Certains de ses thèmes sont encore d’actualité en France comme les retraites.

Il passait son temps à me démontrer avec force calculs l’opération ingénieuse de cumuls de congés payés et de gratifications exceptionnelles qui allait lui permettre de partir à la retraite à soixante-quatre ans et six mois seulement.

Mais d’autres sont peut-être moins prégnants car ils se sont déplacés géographiquement vers des pays où la population est encore plus vulnérable et donc exploitable. Je pense à Florence Aubenas qui s’est glissée dans la peau d’une femme de ménage et a raconté son expérience dans Le quai de Ouistreham ou encore à Joseph Ponthus qui a tout simplement partagé son expérience du travail dans les usines de poissons et les abattoirs bretons dans À la ligne.


Linhart, Robert. L’établi. Minuit, 1981.