Matthew B. Crawford a un parcours atypique. Il est diplômé en physique puis a obtenu un doctorat (PhD) de philosophie politique. Sans surprise, après ses études, il a dirigé un think tank avant de tout quitter pour monter un atelier de réparation de motos.

Bref, j’étais passé du comité pour la pensée sociale à la cour des miracles.

Ce livre relate cette expérience dont il se sert pour illustrer et nourrir sa réflexion sur le sens du travail et la dichotomie entre travail intellectuel et travail manuel. L’une des principales questions qui est posée est pourquoi on les oppose ? Pensez-vous que la réparation d’une moto ancienne ne requiert que de la dextérité ? Comment faire alors pour diagnostiquer une panne et trouver la solution ? Il s’agit bien de la combinaison des deux compétences – comme chez les dentistes ou les chirurgiens par exemple – alors pourquoi s’ingénie-t-on à, plus que les séparer, les opposer et ce dès l’école comme si ces deux compétences étaient mutuellement exclusives ?

Et pourtant, si l’on veut inverser le paradigme de la croissance infinie, on va devoir compter sur cette double compétence pour atteindre une consommation plus durable au lieu de consommer à outrance des bien qui ont été produits par une chaîne de valeur fragmentée – qui a perdu son sens – pour être plus facilement délocalisable et plus rentable. L’auteur explique d’ailleurs de façon édifiante comment le taylorisme a conduit à la perte de sens du travail – c’est aussi un sujet qui a été traité par un retour d’expérience depuis le terrain dans les livres L’établi et À la ligne.

Car c’est plutôt la question du coût du travail qui compte ici. Une fois que les aspects cognitifs du travail ont été accaparés par une classe managériale séparée des travailleurs, ou mieux encore, une fois qu’ils ont été incorporés à un processus automatique qui ne requiert aucune forme de jugement ou de délibération, les travailleurs qualifiés peuvent être remplacés par des travailleurs non qualifiés moins bien payés.

Le sens que revet le travail pour l’homme est aussi mis en évidence. Crawford oppose le travail au travers duquel l’homme se réalise c’est-à-dire lorsqu’il met en oeuvre son savoir – qu’il soit issue de base théoriques, pratiques ou de son expérience – pour produire un résultat concret au travail qui aliène et dont le seul objectif – bien qu’il soit important – est de gagner de l’argent pour subsister, mais aussi pour profiter de la vie par le biais des loisirs.

Il est parfois critique voire sarcastique sur le travail bureaucratique et je dois avouer que j’aime bien ça comme ici lorsqu’il raconte un exercice réalisé dans le cadre d’un team building.

Voilà donc que tout le monde est enfin à genoux de sa propre initiative, en vertu d’une décision surgie du génie collectif de l’équipe. Tous ensemble, ces rebelles ont développé la force de caractère qui leur a permis de “remettre en question certaines règles tacites”, comme la vielle idée reçue qu’il vaut mieux se tenir debout qu’à genoux.

En tant qu’ingénieur, ce livre résonne fortement car ce métier se trouve à la confluence de la théorie et de la pratique. Y compris dans des domaines abstraits comme l’informatique, il faut avoir mis les mains dans le cambouis – ou les avoir mises – pour exercer pleinement cette profession. Un livre exigeant – dont la lecture se mérite un peu – qui apporte un éclairage sur notre relation au travail.


Matthew B. Crawford. Éloge du carburateur: Essai sur le sens et la valeur du travail. Traduit par Marc Saint-Upéry, La Découverte, 2016.