Nous avons passé toute notre histoire à survivre, et non à vivre.

Ce livre contient tous les malheurs et toutes les horreurs du monde, une boîte de Pandore qui aurait été ouverte à l’est de l’Europe. La lecture est éprouvante – parfois insoutenable –, on a du mal à réaliser, une souffrance d’un tel niveau paraît incroyable, impensable.

Pour l’écrire, Svetlana Alexievich a interrogé la population et retranscrit ces entretiens. Le procédé ressemble à celui utilisé par Jean Hatzfeld pour relater les atrocité commises durant le génocide rwandais. C’est passionnant de lire toutes ces voix, ces mémoires qui s’expriment. Le choix des témoins est particulièrement important pour offrir une vision objective.

Ce sont toujours les victimes qui restent pour témoigner, les bourreaux, eux, se taisent.

Il est question dans ces entretiens de la vie sous le communisme, de la fin de l’Union soviétique à partir de Mikhaïl Gorbatchev et la perestroïka jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine et des oligarques. Ce qui implique la fin d’un empire, la fin du communisme, un transition abrupte vers la démocratie libérale. Pour un occidental, lire ces témoignages permettent d’observer une chose complètement incroyable – encore plus incroyable que la vie extraterrestre – une vie sans argent. La plupart des gens gagnaient la même chose, une fois leur travail accompli, ils n’essayaient pas de gagner plus d’argent ou de consommer, ça n’existait tout simplement pas alors ils lisaient et ils discutaient.

Les objets ont désormais autant de valeur que les idées et les mots […]
Au lieu d’une Patrie, on a un immense supermarché. Si c’est ça la liberté, alors je n’en ai pas besoin!

Ce livre est important pour comprendre ce qui fait l’âme russe et appréhender avec un regard différent ce qui se passe actuellement, cette nouvelle phase de reconstitution d’un empire.


Svetlana Alexievich. La Fin de l’homme rouge, traduit par Sophie Benech. Actes Sud, 2013.