N’oubliez pas qu’un petit groupe de personne déterminées et conscientes de ce qu’elles font peut changer le monde.
David contre Goliath c’est tout de suite ce qui vient à l’esprit, lorsque débute le récit de la petite association Sherpa qui s’attaque au géant du ciment Lafarge – comme on l’apprendra au cours de la lecture, il faut désormais parler du groupe Holcim. Ce qui est encore plus cocasse – si j’ose dire – c’est que ce combat juridique oppose un groupe de femmes à des hommes, on serait tenté de continuer et de dire le nouveau contre l’ancien monde mais je vais m’arrêter là. Venons-en aux faits.
L’entreprise Lafarge, afin de développer ses activités au Moyen-Orient, a saisi l’opportunité d’acheter et de moderniser à grand frais une cimenterie pour en faire un outil dernier cri. Un lieu s’est imposé, donnant sur la mer Méditerranée, desservi par un grand axe routier, aux portes de la Turquie mais aussi de l’Irak – qui, convenons-en, avait pas mal à reconstruire en cette première décennie du XXIème siècle. Ce lieu, qui devait apparaître à l’époque aux dirigeants, comme un choix pertinent est la Syrie de Bachar El-Assad. Rétrospectivement, on se dit que ce choix n’était pas forcément très judicieux. Un tel outil industriel au milieu d’une guerre civile et de la proclamation d’un califat par Daesh ressemble à une grosse part de gâteau dans un frigo vide. Alors, comme il semblait difficile aux dirigeants et aux actionnaires – ne les oublions surtout pas – de voir s’envoler un investissement aussi conséquent, il a fallu composer avec les différents groupes locaux et, de fil en aiguille, on se retrouve à traiter avec des terroristes et à maintenir ses salariés au travail dans des conditions plus que délicates.
Les récits confiés à Tracy et Marie-Laure, manquent parfois de précision parce que les expériences de peur extrême – voir par exemple des hommes armés monter dans son bus, devoir en descendre avec les autres passagers, s’allonger sur la route, face contre terre, et sentir le canon d’une kalachnikov dans son dos – déclenchent des feux dans la mémoire, qui dévorent les détails et les circonstances, oxydent la précision du souvenir.
C’est cette histoire, et surtout le combat juridique, engagé contre Lafarge par cette petite association, que nous raconte avec justesse et précision Justine Augier – j’ai appris, puisqu’elle évoque de façon transparente les démêlés avec la justice de sa mère, qu’elle est la fille de Marielle de Sarnez. Une grande enquête qui met en évidence le travail long et fastidieux de la justice, sa langue si particulière, si complexe. Une voix de plus – une autre femme – qui contribuera à ce que justice soit rendue.
Justine Augier. Personne morale. Actes Sud, 2024.