Pucelle

Florence Dupré la Tour raconte son enfance au sein d’une famille catholique bourgeoise. Le récit se polarise rapidement sur l’opposition homme / femme. La domination exercée par les hommes au sein de la société est incarnée par la figure de son père qui est l’archétype du mâle blanc riche qui n’a aucune interaction avec ses enfants et ne se préoccupe de la vie de la famille que pour partir en vacances. Puis la position de la femme soumise qui consacre tout son temps à sa famille. Et enfin celle des petites filles, l’autrice et sa soeur jumelle, qui sont laissée dans l’ignorance de la sexualité et semblent être uniquement destinées à se marier et à procréer à leur tour dans un cycle sans fin. ...

6 juin 2025 ·  BD

Giovanni Falcone

Roberto Saviano revient sur son sujet de prédilection, la Mafia, avec un livre monstre qui tourne autour de la figure emblématique du juge Giovanni Falcone. Au delà du juge, le livre décrit le combat dantesque de la justice contre la Mafia qui a donné lieu au maxi-procès de Palerme lors duquel ont été jugés près de 500 accusés. L’auteur a délaissé la forme journalistique de Gomorra pour celle du roman vrai ou roman non fictionnel qui permet de raconter des évènements à hauteur d’homme. Et les hommes qui ont servi la justice pour lutter contre le crime organisé on fait preuve d’un courage et d’une abnégation hors du commun. Ces hommes se savaient condamnés à force de voir la mort frapper autour d’eux. Et bientôt les bombes ont remplacé les rafales de Kalashnikov. ...

Les hommes manquent de courage

C’est ma mère qui avait insisté pour m’appeler Jessie. Elle ne s’était pas dit que ça ferait américaine, ou esthéticienne, ou candidate de télé-réalité. Elle trouvait ça joli. Je suis professeure de mathématiques. Mathieu Palain nous raconte l’histoire – a priori vraie – de Jessie – son nom a été modifié pour ne pas qu’on la reconnaisse. On sent bien que l’histoire est romancée et il est d’ailleurs écrit “roman” sur la couverture, mais à la fois, comme il le dit lui-même, elle ne peut qu’être vraie – sinon elle serait invraisemblable. ...

Triste tigre

Difficile de parler de ce livre. Neige Sinno raconte les viols répétés quel a subi dans son enfance pendant des années. Son bourreau vivait sous le même toit, il pouvait sévir à tout moment, c’était son beau-père. Même moi, qui ai vu cela de très près, du plus près qu’on puisse le voir et qui me suis interrogée pendant des années sur le sujet, je ne comprends toujours pas. Elle raconte dans le détail, c’est assez difficile à lire, souvent très cru, mais nécessaire pour se rendre compte de l’horreur. Malgré la condamnation on sent encore énormément de colère, elle le dit, il aurait dû se suicider, la prison qui permet de s’acquitter d’une dette n’est pas adaptée, ce type de dette ne se rembourse pas. En plus de tout ce qu’elle a subi dans sa chair, la souffrance psychologique vécue par la petite fille qui ne parle pas de peur de faire exploser sa famille est affreuse. Dans le cas de son beau-père, la volonté de domination et de soumission est au moins aussi présente que la perversité sexuelle – peut-être est-ce souvent le cas ? Elle parle de sa mère, mais pas autant que je m’y attendais, car la mère est dans une position très délicate. C’était l’autre adulte de la famille, celle qui avait choisi d’aller, avec ses enfants, vivre avec cet homme. ...

Idéal

Les intelligences artificielles humanoïdes – les androïdes pour le dire simplement – sont partout sauf sur une petite île du Japon où vit un couple. Le temps ne semble pas avoir eu de prise sur ce refuge, mais il en a eu sur le couple qui y vit. Les années ont passé et l’amour s’est fané. Voilà comment se forment les perles. Elles sont des blessures enveloppées de douceur et de beauté et il en est de même, pour certaines oeuvres. ...

13 avr. 2025 ·  BD

Qui a tué mon père

Pendant toute mon enfance j’ai espéré ton absence. Après le fils, Edouard Louis, dans En finir avec Eddy Bellegueule, le frère dans L’effondrement, la mère dans Combats et métamorphoses d’une femme et Monique s’évade, je demande le père. Le livre est très court et ressemble à une longue lettre que l’auteur adresse à son père suivie d’une sorte de pamphlet politique – il me semble que c’est la première fois qu’il s’aventure sur ce terrain. Cette dernière partie est assez faible et vient conclure son analyse sans appel – d’ailleurs le titre ne comporte pas de points d’interrogation. C’est la fatalité qui a tué son père, une prédétermination, via sa classe sociale, à vivre cette vie et à mourir de cette façon. ...

Toronto

Je suis redevable aux éditions P.O.L de m’avoir donné l’opportunité de rattraper, de façon tout à fait honorable, des années de lacunes sur les frasques de Johnny Depp et Amber Heard, fâcheuses conséquences d’un manque d’assiduité évident dans lecture de la presse people. Ils remâchaient ad nauseam une dispute qu’ils avaient eue à Toronto, parlaient de gens dont je ne savais rien. Le livre ressemble à un épais dossier assez fouillis, il contient des retranscriptions de conversations, des SMS, des déclarations, des comptes rendus de procès, des interviews. Je laisse la parole à Élisabeth Benoit qui en parle bien mieux que moi – j’ai du tronquer la phrase qui doit à peine tenir sur une page. ...

Arcadie

J’ai été tellement séduit par l’écriture de La Treizième Heure, tellement étonné par une telle originalité que j’ai décidé de lire cet autre roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Je savais où je mettais les pieds et je n’ai donc pas été surpris de retrouver de nombreuses similitudes. Pour être honnête, je l’ai quand même été car la ressemblance est grande. Les romans se déroulent au sein de ce qu’il convient d’appeler une secte qui rassemble disons des non-conformistes – c’est un doux euphémisme – dirigée par un homme – un gourou, appelons les choses par leur nom. Au sein de cette communauté l’un des personnages principaux prénommé(e) Farah a la particularité d’être intersexué(e), c’est-à-dire qu’elle ou il se trouve à la frontière entre homme et femme, en quête d’identité. Les similitudes s’arrêtent là et les histoires sont tout de même bien différentes. ...

Combats et métamorphoses d'une femme

J’ai commis l’erreur de lire d’abord Monique s’évade dont les évènements se déroulent chronologiquement après ceux de ce livre. Dans ce premier tome des évasions de Monique, la mère d’Edouard Louis, son fils nous raconte – et parle aussi à sa mère – des bribes de sa vie difficile d’avant – la partie combat –, la façon dont elle est enfin parvenue à s’émanciper d’un mari alcoolique et toxique – combat toujours – et enfin son épanouissement et sa transformation – la partie métamorphose – dans sa nouvelle vie. ...

Le cas David Zimmerman

Lucas Harari s’est associé avec son frère Arthur pour réaliser sa troisième bande dessinée. L’histoire repose sur le concept de métempsycose, c’est-à-dire le passage d’une âme dans un autre corps. Cette transposition est évidemment un ressort scénaristique, le changement de vie, d’identité et de genre. L’histoire puise des références dans le judaïsme, la première planche figure une menorah, une chanson de Léonard Cohen sert de bande son, Zimmerman est le nom que porte Bob Dylan à l’état civil et le physique de David, le personnage principal, n’est pas sans rappeler celui de Franz Kafka. ...

25 févr. 2025 ·  BD

La petite communiste qui ne souriait jamais

Ce sujet est une mine d’or, la première gymnaste à obtenir la note parfaite de 10 aux jeux Olympiques – note à ce point improbable que les ordinateurs ne sont pas parvenus à l’afficher. Mais aussi la Roumanie de l’époque communiste dirigée par le couple Ceausescu. Nadia Comaneci a fasciné des générations et a marqué à jamais l’histoire de son sport. J’ai été moins séduit par ce qu’a fait Lola Lafon de ces matériaux historiques. Je trouve l’idée d’inclure les échanges entre l’auteur et son sujet intéressante car il permettent de mettre en lumière les contradictions comme l’acharnement que semble mettre la roumaine à défendre le communisme face au capitalisme. ...

Pendant ce temps

Des nouveaux voisins viennent d’emménager et, à peine arrivés, le père de famille a disparu. Étrange dans ce quartier de banlieue plutôt tranquille. D’une certaine manière, l’endroit où ils ont emménagé est super déprimant. Tout est moche et chiant. J’ai l’impression qui si j’habitais là, je me suiciderais sûrement aussi. Une bonne surprise venue de Suède. Une histoire autour de deux familles qui semblent illustrer l’ensemble des familles dysfonctionnelles de notre monde moderne. Tous les symptômes et les pathologies semblent être rassemblés. C’est du nihilisme en BD, un contraste entre des dessins au style naïf et un propos sombre qui fonctionne plutôt bien. ...

2 févr. 2025 ·  BD

La septième fonction du langage

Celui qui aurait la connaissance et la maîtrise d’une telle fonction serait virtuellement le maître du monde. Sa puissance n’aurait aucune limite. Quelle idée étrange que de nouer une intrigue digne d’un roman d’espionnage autour de l’accident ayant entrainé la mort du sémiologue le plus célèbre des années 60, Roland Barthes. C’est malin, mais très élitiste, un entre-soi dans le milieu intellectuel de la French theory. Même sans connaître en profondeur les personnages publics de cette époque, il faut au moins pouvoir mettre un visage sur leur nom pour apprécier – ou tout simplement être capable de suivre – l’intrigue de ce roman. ...

Ernestine

Un peu – ou beaucoup – de mauvais esprit ça fait du bien de temps en temps. Ernestine a 9 ans et est la benjamine d’une famille qui vit dans une belle maison. Son père est un artiste raté – ou juste feignant –, son frère n’est pas très dégourdi – il a peut-être été exposé aux écrans avant l’âge de 3 ans – et sa mère – névrosée flirtant gentiment avec l’alcoolisme – se démène pour maintenir sa petite famille à flot. ...

7 janv. 2025 ·  BD

Cabane

Les romanciers s’emparent volontiers des sujets qui font l’actualité. L’écologie en est un dont on ne parle certainement pas assez. Après Humus de Gaspard Koenig qui s’intéressait à l’agronomie, Abel Quentin revient à l’origine, à ceux qui très tôt avaient prévu la catastrophe, les lointains ancêtres des membres du GIEC. Il était effarant de lire un livre vieux de cinquante ans qui disait tout. Tout figure en effet dans le rapport Meadows1. En s’appuyant sur la théorie des systèmes et à l’aide de moyens informatiques rudimentaires, quatre scientifiques, tels des cassandres, avaient prévu la crise. Mais publier et avertir n’a pas suffi à arrêter une machine qui s’était déjà emballée, il n’y a qu’à voir le mal qu’on les États à infléchir ne serait-ce qu’un tout petit peu la route qui mène tout droit vers la catastrophe lors des COP climat. ...

Le jeu de la dame

Dans notre monde abreuvé de contenus vidéos, il existe encore des personnes – certainement des masochistes, dont je fais partie – qui préfèrent la lecture au visionnage d’une adaptation en série télé – si réussie soit-elle. Et c’est une bonne nouvelle car, si j’en crois le nombre d’avis sur le livre, le groupe des lecteurs est important – ils faut aussi comptabiliser celles et ceux qui se sont intéressés au livre après avoir vu la série. Ce n’est pas forcément un mauvais calcul car le temps investi est sensiblement le même (autour de 7 h) et le bilan écologique – pour peu que l’on ait acheté le livre d’occasion ou qu’on l’ait emprunté à la bibliothèque – penche largement en faveur du livre. Non, le seul bémol réside dans la difficulté à visualiser une partie d’échec à partir d’une description textuelle (sans représentation de l’échiquier) – mais si comme moi vous n’êtes pas un spécialiste ça ne changera pas grand chose et les spécialistes du jeu ne s’intéressent pas à ce type de lecture. Car il s’agit d’échecs, dommage à ce propos que le titre original n’ait pas été conservé The Queen’s Gambit – ou correctement traduit par le gambit de la reine – car il désigne une ouverture aux échecs et a donc revêt une signification différente. ...

Testosterror

Bienvenue à Beauf Land. Tous les attributs du mâle alpha de ce début du XXIème siècle sont là. La bagnole, le barbecue, la salle de sport, les magasins de sport, sans oublier évidemment le sacro-saint apéro – le barbecue restant le dernier bastion de la masculinité. Mais, oh malheur, une épidémie aussi contagieuse que le COVID s’attaque aux attributs viril de ces messieurs, une variante des oreillons qui entraîne un éléphantiasis des parties intimes. ...

9 nov. 2024 ·  BD

Mafalda, mon héroïne

Une BD pour célébrer les 60 ans de Mafalda (première publication en 1964), quelle bonne idée. Je ne connais pas bien le personnage – elle m’évoque surtout les cours d’espagnol au collège –, c’est donc l’occasion de (re)découvrir son univers. Cet hommage est exclusivement rendu par des femmes et ce n’est pas un hasard puisque à l’époque de Quino, son papa, les héroïnes n’étaient pas légion et les autrices encore moins. ...

10 oct. 2024 ·  BD

Shiki

Rosalie Stroesser n’est pas la première à raconter en BD son expérience au Japon, je pense par exemple à Manabé Shima – beaucoup plus riant et léger – ou aux Cahiers japonais – beaucoup plus techniques. Mais ce récit se distingue par un sentiment contrasté qu’elle exprime elle-même très bien dès le début du livre. Comment évoquer cette relation particulière, toute en contradictions, que j’ai développée avec le Japon ? Ce mélange d’attirance et de rejet, cette fascination mêlée d’incompréhension. Et cette constante envie d’y retourner. ...

6 oct. 2024 ·  BD

La Fabrique du monstre

Ce livre sur la ville de Marseille s’articule en deux parties bien distinctes, mais reliées fermement dans un rapport cause / conséquence. La première est consacrée aux quartiers nord de la ville, à la misère et à la délinquance. La deuxième à la politique de la ville pendant l’ère Gaudin / Guérini qui a été catastrophique sur le plan de l’urbanisme et qui a contribué à détourner des fonds publics et / ou à blanchir de l’argent en collaboration avec le grand banditisme et les promoteurs immobiliers – je ne les mets pas dans le même sac. ...