C’est l’histoire d’Harry White un jeune cadre brillant dans son travail et véritable coureur de jupons à ses heures perdues. Bref, il a tout pour réussir et pourtant …

Il lui arrive parfois d’avoir en fin de journée une boule au creux du ventre. Un sentiment en demi-teinte, l’impression de se sentir légèrement cafardeux sans raison apparente. Un peu comme certains dimanches après avoir passé la journée à l’intérieur à ne rien faire. Le soir venu, il peut arriver d’avoir le spleen sans trop savoir pourquoi, le regret de n’avoir rien fait, l’appréhension du lundi matin. Parfois, il lui arrive de s’emporter, de bouillir de rage. Ca lui arrive souvent après un week-end agité en prenant le métro le lundi matin, difficile de supporter ce qu’il nomme la populace qu’il trouve grouillante et puante, de se mêler à elle, d’en faire partie. Difficile aussi pour lui de supporter les petits échecs qui sont le lot quotidien d’un jeune cadre au travail: les remontrances du chef, les commérages des collègues, les rivalités, la réussite des autres. Harry sent bien que quelque chose couve et pousse au fond de lui et se sent à l’étroit mais pour l’instant il arrive à le contenir.

Le démon est une oeuvre surprenante et subtile. Hubert Selby Jr. mène la danse avec maestria, il parvient à dépeindre parfaitement la monté des états d’âmes et les efforts que fait Harry pour les refréner. Il sait trouver les mots justes pour décrire la souffrance et la détresse psychologique de son personnage.

Dans son style caractéristique l’auteur de Requiem for a dream entremêle dialogues et narration en un flot continu et utilise des effets typographiques de retrait pour souligner l’état intérieur des personnages. Le tout est un très grand roman extrêmement efficace, glaçant de réalisme. Je vous en livre un extrait:

Et puis le lendemain matin, et ces saloperies de remords, et ce sentiment de culpabilité qui torturent votre corps couvert de sueur et accablent votre esprit sans qu’on puisse jamais les identifier clairement parce que vous les refoulez, vous les rejetez au tréfonds de vos entrailles pour qu’ils s’y noient, se perdent dans autre chose, n’importe quoi, pourvu qu’on n’ait pas à les regarder en face, à les reconnaître et à les accepter pour ce qu’ils sont.


Hubert Selby Jr, Le démon, traduit par Marc Gibot, Édition : 1re., 10/18, 1984, 350 p, Amazon.