Les Guerriers de l’Hiver

La guerre d’hiver est le nom communément donné au conflit qui a fait suite à l’envahissement de la Finlande par l’Union Soviétique en 1939. Une nième variation du David contre Goliath qui s’est déroulée à l’extrême nord des terres habitables qui comptent plus de lacs et de forêts que d’habitants. Nous étions en guerre contre la plus grande armée du monde, celle d’un pays dont la capitale contient à elle seule autant d’habitant que la Finlande entière. ...

Monique s'évade

Ce livre que vous lisez est, en un certain sens, le résultat d’une commande de ma mère. Après Combat et métamorphose d’une femme dans lequel Edouard Louis raconte comment sa mère, Monique, était enfin parvenue à quitter son mari qui exerçait une emprise sur elle, elle a suggéré à son fils d’écrire un nouveau chapitre de sa vie. Depuis que tu as fait ce livre [Combat et métamorphose d’une femme], j’ai encore beaucoup changé. Il faudra que tu l’écrives un jour ! Je me suis encore transformée. ...

Pastorale américaine

Pastorale américaine est le premier roman de la trilogie américaine (reprise récemment, et augmentée du complot contre l’Amérique, en Quarto sous le titre L’ Amérique de Philip Roth) et l’un des neufs (le sixième) mettant en scène l’écrivain alter ego de Philip Roth, Nathan Zuckerman. Dans le quartier, il y avait un enfant qui surclassait nettement les autres, il était le meilleur en sport, rendait les filles folles et ressemblait si peu aux autres qu’ils l’appelaient le Suédois. Bien des années plus tard, les chemins si différents – l’un en ligne droite et l’autre tortueux – du Suédois le côté clair et de Zuckerman le côté sombre vont à nouveau se croiser. ...

La Foudre

Je ne connaissais pas Pierric Bailly jusqu’à ce que son dernier livre rejoigne les tables – déjà bien chargées – de la rentrée littéraire 2023. Dès les premières pages, j’ai été pris par ce roman, comme c’est rarement le cas. J’attribue cette attirance à la simplicité de la narration. Le personnage principal est aussi le narrateur et parle à la première personne, son récit est chronologique et linéaire – on peut difficilement faire plus simple. Cette simplicité apparente donne une impression de sincérité, tout porte à croire que l’auteur raconte sa propre histoire bien que ce ne soit évidemment pas le cas. ...

Que notre joie demeure

En littérature comme ailleurs il faut dépasser ses préjugés. Et je dois avouer que sur ce point, Kevin Lambert m’a donné une bonne leçon. Lorsque j’ai vu apparaître son visage dans les journaux et sur les écrans suite à la polémique déclenchée par son collègue écrivain Nicolas Mathieu à propos de l’intervention d’un sensitive reader – et donc d’une suspicion de censure, gros mot de la littérature – dans le processus d’édition du livre du québécois. La polémique a souvent l’effet inverse de celui recherché et un doute a commencé à poindre dans mon esprit. Et si je passais à côté de quelque chose ? ...

Cher connard

Ce livre n’est ni un livre sur MeToo, ni sur le COVID et le confinement, ni sur le défoulement de haine qui fait rage sur internet, ce sont simplement les marqueurs d’une époque qui nourrissent la conversation entre deux bad asses, un écrivain et une actrice, qui tentent de faire le deuil de leur vie d’avant que l’on pourrait résumer par la défonce. Rien ne m’attire rien ne brille rien ne me bouleverse plus. Je préfèrerais mille fois souffrir et crever d’un amour non réciproque, je préfèrerais être être répudiée être trompée être humiliée être maltraitée je préférerais n’importe quelle blessure d’amour-propre à cet ennui. ...

La mort d'un père

Et pour moi ? Qui papa avait-il été ? Quelqu’un dont je souhaitais la mort. Alors pourquoi toutes ces larmes ? Il y a des moments dans la vie qui marquent. Perdre son père, la figure de l’autorité, en est un. Il revêt peut-être une plus grande importance encore lorsque l’on est jeune homme et que l’on est, ou que l’on s’apprête à devenir, père soi-même. La vie est un combat – ou plutôt un compat comme le disais la grand-mère de l’auteur qui ne savait pas prononcer les b. Son combat Karl Ove Knausgard a choisi de le raconter au travers d’une série de six volumes. Il est inscrit roman sur la couverture, mais le personnage principal et narrateur portant le nom de l’auteur laisse peu de doute au fait que nous ayons à faire à une autobiographie. ...

Conversations entre amis

Nous avions élaboré une blague là-dessus, qui pour tout le monde – à commencer par nous – était incompréhensible. Qu’est-ce donc vraiment qu’un ami ? Demandait-on avec humour. Qu’est-ce donc vraiment qu’une conversation ? J’ai aimé ce roman d’une façon irrationnelle. Je ne suis pourtant pas le coeur de cible – je ne parle que de l’âge – et pourtant j’ai été sensible à tous les personnages qui composent ce quatuor amoureux très intellectuel. Je me rends compte que je n’ai pas trop de références pour en parler, ou alors toujours la même qui me vient à l’esprit – désolé –, usée jusqu’à la corde, Bret Easton Ellis – là je suis plus dans le coeur de cible. Il y a une certaine similitude avec des livres comme Moins que zéro ou Les lois de l’attraction des romans de fin d’adolescence, d’entrée dans l’âge adulte – la drogue et la paranoïa en quantité bien plus limitées quand même. Autres temps, autres mœurs, au lieu d’être immergé au sein d’un groupe des années 90, c’est trente ou quarante ans plus tard, les comportements et les préoccupations ont changé. Allez, je lâche le mot que l’on entend toujours lorsque l’on parle de Sally Rooney, les milléniaux (millennials), ils ont remplacé l’ancienne génération et ont évidemment leurs préoccupations, leur mode de vie, connaissent pour certains ces moments difficiles qui marquent l’entrée dans l’âge adulte. Au sein de ce groupe, la frontière entre amitié et amour est floue et mince, le roman tourne beaucoup autour de cette notion, la monogamie ne semble plus être qu’un vestige du passé. ...

Vol de nuit

Vol de nuit est l’un des mes livres préférés. Dans un livre sur l’aviation, l’Aéropostale en l’occurrence, on s’attend à lire le récit des pilotes héroïques bravant les éléments. Il y a de ça, mais le vrai héros du livre est Rivière, le directeur. Son point de vue semble être de transcender les hommes et les femmes avec lesquels il travaille, il veut dépasser le statut de l’individu pour qu’il s’efface derrière l’entreprise à laquelle il contribue. ...

Le mage du Kremlin

Giuliano da Empoli, lui-même ancien conseiller politique, s’intéresse à ces éminences grises qui accompagnent les femmes et les hommes au pouvoir que l’on nomme communément des spin doctors. On peut même dire qu’il est spécialiste du sujet puisqu’avant d’écrire ce roman, il leur a consacré un essai intitulé Les ingénieurs du chaos1. On l’appelait le “mage du Kremlin” , le “nouveau Raspoutine”. Ce personnage de fiction se nomme Vadim Baranov. J’ai cru qu’il avait été inventé de toute pièce par l’auteur pour servir de fil conducteur à ce roman, mais j’ai appris qu’il puise sa source d’inspiration – jusqu’au mimétisme – chez Vladislav Sourkov qui est considéré à en croire Wikipédia comme “le principal idéologue du Kremlin des années 2000” et comme l’homme ayant théorisé la verticalité du pouvoir. Dans le roman – comme dans la réalité – il murmure à l’oreille du Tsar, Vladimir Poutine. Bien que terminé début 2021, ce livre est malheureusement plus que jamais d’actualité. Il permet de retracer assez fidèlement – pour autant que je puisse en juger – les événements allant de la dissolution de l’URSS aux prémices de la guerre. ...

Légende

J’avais tellement aimé Par les routes que je me suis mis en quête d’autres livres de Sylvain Prudhomme, et dans ce Légende aussi le protagoniste est photographe. La pensée l’avait traversé que la pluie était là précisément pour ça: empêcher qu’il photographie. Les désarmer Matt et lui. Les obliger à cesser de capturer, d’immortaliser, de figer. Les forcer simplement à vivre, s’abandonner, être tout entiers aux choses. De ces jours il n’y aurait pas d’image. Ni film de Matt ni photos de Nel. C’était très bien ainsi. ...

L’Étranger

Tout a été dit sur ce livre, je vais donc m’efforcer de ne pas trop en rajouter, mais plutôt de faire part de mon expérience de lecture, de mon ressenti – et peut-être un peu aussi des circonstances de cette lecture. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques années, j’aime trouver mes lectures par hasard sur mon lieu de vacances parmi les vieux livres de poche que les gens relèguent dans leur résidence secondaire ou disposent à dessein pour les visiteurs. Et cette fois, je suis tombé dans deux maisons différentes sur L’Étranger, pour être plus précis sur un vieux Folio portant le numéro 2. Vous allez me dire qu’il s’agit d’un des livres les plus lus et les plus achetés – c’est le deuxième livre le plus vendu après Le Petit Prince – il figurait notamment au programme des lycéens, mais j’ai tout de même pris ça comme un signe ou plutôt comme une forte incitation à le lire. Avant d’en venir à mes impressions, je dois confesser les raisons qui ont fait qu’à mon âge avancé j’étais passé à côté de ce classique moderne. A vrai dire, je ne sais pas comment j’ai pu passer au travers pendant ma scolarité, mais je sais pourquoi je ne l’avais pas lu par la suite. J’avais tout simplement considéré à tord que ce livre était trop triste après avoir lu les premières phrases, l’incipit. ...

Le Voyant d’Étampes

Pour bien comprendre ce livre il faut commencer par quelques définitions. Woke: Le terme anglo-américain woke (“éveillé”) désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale (source). Cancel culture: La cancel culture (de l’anglais cancel, “annuler”), aussi appelé en français culture de l’effacement ou culture de l’annulation, est une pratique apparue aux États-Unis consistant à dénoncer publiquement, en vue de leur ostracisation, des individus, groupes ou institutions responsables d’actes, de comportements ou de propos perçus comme inadmissibles (source). ...

En finir avec Eddy Bellegueule

Ce livre a été un pavé dans la mare lors de sa sortie en 2014. Le premier roman d’un jeune homme, qui n’avait que 21 ans à l’époque, a divisé la critique et fait couler beaucoup d’encre. Le livre a marqué par son intransigeance et son réalisme cru – très cru – vis à vis de la réalité. On a même reproché à celui qui se nomme désormais Edouard Louis d’avoir exagéré, caricaturé ou travesti la réalité en employant les mots, la langue, des personnes de son entourage – à commencer par sa famille – qu’il met en exergue en utilisant une typographie spécifique (les passages correspondant sont en italique). En racontant de façon aussi cru la vie des gens qui les entourent les auteurs se font rarement des amis, Philip Roth en a fait les frais, mais aussi lancé grâce à ce premier acte de transgression l’une des plus belles carrières de la littérature. L’écriture et la littérature sont à ce prix, il faut écrire sur ce que l’on connaît, le fameux “write what you know” et le jeune auteur l’a bien compris puisque depuis ce premier roman il continue d’exploiter cette veine autobiographique comme une catharsis. ...

Sérotonine

J’ai attendu bien après sa sortie et donc après l’évènement qui a fait le succès des chaînes d’info en continue – je ne parle pas de la pandémie –, la première saison des gilets jaunes qui est en quelque sorte préfigurée dans ce livre. Enfin pas tout à fait, il s’agit plus exactement de l’effondrement du monde agricole incarnée par le meilleur – et le seul – ami du narrateur Aymeric, un ancien comme lui – et comme l’auteur – de l’Agro. ...

Le dernier stade de la soif

Voici un livre qui m’a beaucoup touché et qui a résonné très fort. Il s’agit d’une autobiographie romancée – aussi appelée parfois autofiction – de Frederick Exley. Le protagoniste – ou l’auteur – qui nous raconte une partie de sa vie ne s’est jamais adapté à la société. Il a été ce que l’on appelle parfois un marginal. Il semble l’avoir été malgré lui, pas par sa posture donc, mais plutôt par une incapacité totale à entrer dans le moule étriqué de la société. Quand je dis que ce n’est pas une posture, on peut même dire que c’est même l’opposé puisqu’il a énormément souffert et est entré dans une spirale d’autodestruction qui l’a mené à plusieurs reprises jusqu’à l’hôpital psychiatrique, et dans laquelle une seule chose a surnagé, peut-être comme un vestige de l’enfance idéalisé, les New York Giants. ...

La disparition de Josef Mengele

Olivier Guez a choisi, comme l’indique le titre du livre, de traiter de la période d’après la guerre. Lorsque l’ange de la mort a fuit comme beaucoup d’autres nazis vers l’Amérique du Sud. La période des camps n’est évoquée que par épisodes, comme des reminiscences de l’horreur. Il a voulu concentrer son roman – car même s’il s’agit en grande partie de faits réels nous sommes bien dans un roman à la manière du HHhH de Laurent Binet – sur l’après guerre et la fuite des nazis – je pense à un autre très bon livre qui traite cette fois du début de la période nazie, L’ordre du jour d’Éric Vuillard. À quoi ont été occupées toutes ces années pendant lesquelles le monde entier a découvert l’horreur des camps et qui a vu se mettre en place la traque de ces grands criminels et l’organisation de leur procès. Est-ce que ces années on été l’occasion de se repentir, de faire le bien ou plutôt celles de l’égocentrisme et de la lâcheté ? ...

L’Un l’autre

Thomas roula le journal, le posa sur le banc. Il pris son verre pour le vider, hésita, fit tourner le vin à l’intérieur, puis reposa son verre à côté de celui d’Astrid, qui était vide. C’était moins une pensée qu’une image: le banc abandonné dans la lumière du matin, le journal avec ses pages gondolées par la rosée, et les deux verres avec quelques moucherons noyés nageant à la surface dans celui qui était resté à moitié plein. ...

Le Grand Paris

Je suis de plus en plus ébloui par le travail d’Aurélien Bellanger et ce livre est peut-être le plus abouti – même si je n’ai pas encore lu Le continent de la douceur1. Comme a son habitude le livre est adossé à un sujet réel et la part de la fiction est clairement minoritaire. La qualité et la quantité des informations rassemblées sont impressionnantes et la façon dont elles sont restituées est magistrale, son talent d’écrivain éclate à chaque phrase. Le sujet donc est l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 et la conception de ce qui restera l’un des héritages principaux de son mandat, le Grand Paris. Ce projet tel qu’il est présenté dans ce livre est ni plus ni moins que l’absorption par Paris des départements alentours pour devenir une seule citée unifiée, pacifiée gommant par la même les différences et les inégalités, prête à devenir une Rome du XXIème siècle. Au sein de ce projet monumental, un département cristallise les inégalités, le 93. ...

Zone

C’est l’un des plus grands livres que j’ai lu. C’est un livre antérieur à Boussole dans lequel Mathias Énard utilise le même procédé du monologue intérieur, du courant de conscience. Le tempo du récit n’est pas réglé cette fois sur les heures qui s’écoulent au cours d’une nuit d’insomnie, mais sur les kilomètres qui séparent Milan de Rome sur la voie de chemin de fer, au rythme de un kilomètre par pages sur 500 kilomètres – soit environ 500 pages. Le récit est fait d’une seule phrase interrompue seulement par l’insertion de quelques chapitres d’un livre que lit Francis, le narrateur, dans le train – je m’inquiétais de l’impact négatif de ce procédé sur la lecture, mais à mon grand étonnement, il n’en a aucun et a l’avantage de représenter au plus près le cheminement de la pensé. ...