Il y a quelque chose de très troublant dans ce premier tome du récit de jeunesse de Riad Sattouf (il est sous-titré Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)). Puisqu’il est né en 1978 – comme moi – il avait donc entre 0 et 6 ans à cette période. Il n’y a toujours rien qui vous choque ? Un peu quand même, difficile d’établir un récit de près de 160 pages entièrement basé sur des souvenirs authentiques qui datent d’avant le CP. Il repose donc forcément sur des souvenirs reconstitués à partir de ceux des adultes (de ses parents principalement) et du récit qu’ils en font – dans toutes les familles il y a des histoires légendaires qui se racontent lors des repas de famille. Ce procédé apocryphe parfaitement assumé – il me semble – est intéressant car il permet de raconter une autre réalité qui n’est finalement pas moins vraie.

On pourrait alors penser qu’il idéalise ces années passées en Libye et en Syrie, mais pas du tout, mais alors pas du tout. Il fait un portrait au vitriol des lieux, mais aussi des gens. En tant qu’auteur de BD, il ne se limite pas à des propos très crus, mais les accompagne de dessins pas très flatteurs. Les enfants qu’il côtoie en Syrie ont tous des têtes de dégénérés.

Le personnage le plus intéressant est sans conteste le père de Riad. C’est un homme tiraillé entre la vie qu’il a connu en France et ses racines profondément encrées au Moyen-Orient. Il tente un retour aux sources avec sa famille, mais on voit bien que, malgré ses efforts et toute sa bonne volonté, ça ne marche pas – et pourtant il insiste. Il fait penser à quelqu’un qui aurait choisi un endroit pour des vacances, qui ne plaît pas à sa famille, et qui passe son temps à essayer de sauver les meubles alors qu’ils se rendent bien compte – et lui aussi d’ailleurs – de la réalité. Ça fait de son père, malgré ses gros défauts, un personnage très attachant. Il préfigure peut-être déjà un peu, avant son fils, l’arabe du futur.

Même si certaines anecdotes font sourire et contrairement à une grande partie de la production de l’auteur dont l’excellentissime Pascal Brutal, l’humour n’est pas l’objet premier de ce livre dont l’ambiance est plutôt pesante. Ce décalage entre la vision d’un enfant et ces propos sans concession, qui sont l’oeuvre de l’adulte qu’est devenu Riad Sattouf, font de ce livre un témoignage original qui apporte un autre éclairage sur la fracture qui se creuse manifestement tous les jours un peu plus entre le Moyen-Orient et l’Occident.

Cet album a été récompensé en 2015 à Angoulême par le Fauve d’or (meilleur album).

Avant de terminer, voici quelques autres – très – bonnes BD autobiographiques:


Riad Sattouf, L’arabe du futur #1, Allary, 2014, 160 p, Amazon.