Pour une fois Guy Delisle ne nous raconte pas sa vie, mais la vie d’un autre. Enfin, un moment bien particulier de la vie de Christophe André – non il ne s’agit pas du célèbre psychiatre – qui a été retenu en otage. Il venait de commencer sa première mission dans le cadre d’une ONG (MSF: Médecins Sans Frontières) en tant qu’administrateur (travail de bureau) dans le Caucase du nord (Tchétchénie) lorsqu’il a été enlevé. Si personne n’est préparé à être un otage, on peut imaginer qu’un comptable – sans faire offense à la profession – l’est encore moins.

En racontant l’histoire d’un autre il s’inscrit dans la même veine qu’Emmanuel Guibert avec son oeuvre magistrale La guerre d’Alan que d’autres ont suivi pour donner naissance à des ouvrages comme L’Odyssée d’Hakim – les livres se ressemblent aussi sur le plan graphique – ou Le Jour où j’ai rencontré Ben Laden. Contrairement aux deux derniers ouvrages cités, il ne met pas en scène le projet et son travail, mais consacre l’intégralité de la BD à l’histoire de Christophe André. Pour faire vivre au lecteur l’attente interminable de l’otage – point commun à tous ceux qui ont vécu cette situation –, Guy Delisle joue sur la répétition et étire les scènes en longueur. Avec cette succession de planches quasiment identiques, il parvient à retranscrire la monotonie des jours et l’affreuse longueur du temps qui passe. C’est en lisant ces pages que j’ai ressenti pour la première fois avec autant de force le calvaire d’être enfermé jour et nuit dans une pièce sans fenêtre, allongé sur un matelas posé sur le sol, le poignet enchaîné à un radiateur. Comment ne pas devenir fou dans cette situation surtout lorsque l’on est venu sur place pour travailler pour une ONG qui vient en aide à la population ? Il y a une vraie sincérité et un honnêteté à évoquer les velléités d’évasion, les réflexions sur les actions qui seraient menées pour le libérer. Quand on voit le plaisir qu’il prend avec un simple grain d’ail, on se dit que l’on ne profite pas assez des plaisirs simples de la vie – comme la lecture. Pour être honnête à mon tour, vu le sujet, mais aussi le procédé utilisé, on ne peut pas dire que la lecture soit toujours agréable, on souffre avec l’otage. Mais c’était le but recherché ,et il s’agit d’une incontestable réussite.

P.-S.: Pour mieux comprendre ce que vivent les membres d’une ONG et en l’occurrence MSF, je vous recommande chaudement la d’un autre ouvrage d’Emmanuel Guibert, Le Photographe.


Delisle, Guy. S’enfuir. Récit d’un otage. Dargaud, 2016.