Le temps d’attention du poisson rouge est de 8 secondes, celui de la génération des millenials de 9 secondes. La croyance populaire dit que cette mémoire courte aide le poisson à supporter la vie dans son bocal, en va-t-il de même pour les humains, les sollicitations courtes, mais quasiment constantes des réseaux sociaux aident-elles à mieux supporter notre vie moderne ? Il est désormais rare de trouver quelqu’un qui attend simplement, à l’arrêt de bus, dans une salle d’attente ou en faisant la queue, tout le monde ou presque, sans distinction d’âge, est courbé en deux, plongé dans son smartphone.

Le temps est une notion clé de ce livre. Le temps de l’attention pendant lequel il faut absolument accrocher l’utilisateur, celui que les plate-formes essaient de prendre à leur consommateur, celui que les nouveaux usages ont démultiplié en permettant de faire plusieurs choses en parallèle, celui que l’on consacre à ces consultations frénétiques en en retirant si peu – mis à part le fait de s’extraire de sa conscience pendant ce laps de temps.

La dépendance n’est pas un effet indésirable de nos usages connectés, elle est l’effet recherché par de nombreuses interfaces et services qui structurent notre consommation numérique.

Il y a beaucoup de choses dans ce livre dont l’exploitation de nos biais cognitifs, comme l’infinite scroll qui exploite l’absence de signal de fin auquel nous sommes sensibles, pour nous fidéliser ou, dit de façon plus abrupte, nous exploiter. Exploiter nos données personnelles pour nous vendre des produits ou des services et au passage nous transporter dans un univers qui n’est pas la réalité. Le fait que l’information soit orientée de multiples manières et pour de multiples raisons au lieu d’être présentée de façon équitable génère une profonde distorsion de la perception du monde par les individus, c’est la notion de bulle informationnelle qui se forme autour de chaque individu en lui présentant invariablement ce qu’il souhaite voir.

The Economist : " Le véritable objectif des géants de la tech est de rendre les gens dépendants, en profitant de leur vulnérabilité psychologique."

Il revient aussi, comme on a pu le lire dans d’autres livres comme Alexandria ou encore Qu’avons nous fait de nos rêves, sur les rêves ratés d’Internet, comment une invention aussi révolutionnaire née dans un esprit de liberté de gratuité et de partage de la connaissance a-t-elle été exploitée au détriment des hommes pour créer la plus grande machine à générer des profits ?

Le plaidoyer pour un moratoire ou un ensemble de mesures qui est fait à la fin du livre semble être une évidence, mais les avancées réalisées dans ce sens paraissent encore bien timides.

Cette voie [entre la jungle libertaire et l’univers carcéral de la surveillance] possible, c’est la vie en société. Mais nous ne pouvons pas laisser à ces plates-formes le soin de l’organiser seules, si nous souhaitons qu’elle ne soit pas peuplée d’humains au regard hypnotique qui, enchaînés à leur écrans, ne savent plus regarder vers le haut.

Je suis tout à fait de son avis, comme on a affiché la nocivité du tabac sur les paquets de cigarettes, on devrait demander aux réseaux sociaux de faire la même chose sur leurs plate-formes, voici quelques idées.

  • L’utilisation de cette plate-forme siphonne vos données et votre vie.
  • Si l’usage de cette plate-forme est gratuite, c’est certainement que vous payez avec vos données.
  • L’utilisation de cette plate-forme est addictive, elle a été conçue dans cet objectif.
  • Cette plate-forme et ses utilisateurs ne sont pas forcément représentatifs de la réalité, mais d’une perception de celle-ci qui est souvent tournée à leur avantage.
  • Les contenus qui sont présentés tiennent compte de vos préférences, mais aussi du financement des annonceurs qui ont payé pour que leurs produits apparaissent.

Comme je suis assez sensible à ce sujet, je n’ai pas appris beaucoup de choses, mais c’est toujours bien de se les rappeler et de les garder à l’esprit. Le seul petit reproche que je ferais à ce livre concerne le découpage en chapitres que je n’ai pas trouvé très clair. J’ai appris que Bruno Patino avait écrit un autre livre dont le titre fait écho à celui-ci, Tempête dans le bocal, je le lirai à l’occasion.


Patino, Bruno. La civilisation du poisson rouge. Le Livre de Poche, 2020.