TL;DR 🦤

blog [ blɔɡ ] n.m.: Vestige des années 2000 ayant perdu le peu d’intérêt qu’il suscitait depuis l’avènement des réseaux sociaux. Celui-ci est exclusivement consacré à mes lectures 📚.

Proust, roman familial

J’ai tenté de lire ce livre deux fois. Deux échecs. Il m’est littéralement tombé des mains. Non pas faute d’intérêt pour Proust, mais parce que je n’appartiens pas à la caste des initiés capables de vibrer à chaque mention d’un personnage secondaire de La Recherche. J’aime Marcel Proust, j’en ai lu une bonne partie – en tout cas assez pour briller en société –, mais je ne suis pas un proustien – loin de là. Or, Laure Murat s’adresse visiblement à ce petit cercle d’érudits – les nerds – qui continuent de chercher ce qui n’aurait pas encore été dit sur ce livre-monde. ...

Un historien à Gaza

Rien ne me préparait à ce que j’ai vu et vécu à Gaza. Cette phrase revient comme une anaphore, marquant la sidération de Jean-Pierre Filiu, historien et l’un des meilleurs spécialistes du Moyen-Orient, face à ce qu’il a découvert sur le terrain. Fin 2024, début 2025, il s’est rendu pendant un mois dans la “zone humanitaire” autour de Khan Younès – je n’oublie pas d’utiliser, comme il le fait systématiquement, des guillemets. Il a eu le courage d’aller dans cette zone de guerre pour faire ce que tout historien devrait pouvoir faire, documenter les faits et témoigner. ...

La Famille, itinéraires d'un secret

C’est en lisant La faille de Blandine Rinkel que j’ai croisé pour la première fois le nom de cette étrange communauté, la Famille. Ils parlent de deux mondes qui ne s’interpénètrent pas. Un monde du dehors, qu’ils appellent le Monde, ou la Gentilité, et leur monde à eux, qu’ils nomment la Famille. Intriguée par ces cohortes de cousins aux patronymes récurrents qui apparaissent dans son quartier, à l’école de ses enfants, au détour de conversations avec ses voisins, Suzanne Privat, journaliste scientifique et surtout curieuse, a décidé d’enquêter. Armée de ses beaux carnets et de son compte Instagram, elle se lance dans l’aventure. ...

Les impatients

J’avais déjà tenté de lire Feu de Maria Pourchet, mais je n’avais pas réussi à aller jusqu’au bout car son style, à l’époque, m’avait rebuté. Avec Les impatients, l’expérience a été différente. Le style est toujours très marqué, très moderne, mais cette fois-ci il ne m’a pas dérangé. Il capte l’attention, parfois au détriment de l’histoire, mais il donne au texte une voix originale et une présence singulière. L’une des particularités de ce roman est ce narrateur qui s’adresse directement au lecteur, brisant en permanence le quatrième mur et rendant la lecture interactive. ...

La faille

Quand j’écris famille, allez savoir pourquoi, je mange le m – on lit faille. La faille n’est pas un roman, mais plutôt un recueil de réflexions. Son thème central, la famille et son impact sur l’individu, sert de point de départ à une exploration très personnelle. Le livre aborde de nombreux sujets, ce qui pourrait lui valoir le qualificatif de “fourre-tout”, mais c’est aussi ce qui fait sa richesse. Blandine Rinkel parsème son texte de références culturelles, notamment au cinéma et à la littérature. Certains titres m’étaient familiers, comme Proust, roman familial, les romans d’Édouard Louis ou encore Mars de Fritz Zorn. D’autres, comme l’histoire de la mystérieuse communauté parisienne “Famille” racontée dans La Famille, itinéraires d’un secret a piqué ma curiosité. ...

Histoires de la nuit

Il semblerait que le millésime Laurent Mauvignier 2025, La Maison vide, soit exceptionnel. C’est ce qui m’a poussé à rattraper mon retard en lisant son précédent roman, Histoires de la nuit. Derrière la couverture immaculée des Éditions de Minuit se cache un thriller diabolique, prouvant que la grande littérature peut être populaire. L’auteur toulousain nous le démontre avec un livre magistral où il parvient à maintenir une tension étouffante sur plus de 600 pages, une véritable performance. ...

Krimi

Est-il possible d’apprécier Krimi à sa juste valeur sans connaître le travail du réalisateur Fritz Lang ? Pour être franc pas vraiment – et je parle en connaissance de cause –, mais en se renseignant un minimum on peut mieux appréhender l’ouvrage sans pour autant être en mesure d’en apprécier toutes les subtilités. En latin, infans signifie “qui ne parle pas” M sera un film sonore. En passant du muet au parlant, c’est comme si je passais de l’enfance à l’âge adulte. ...

11 sept. 2025 ·  BD

Histoire de la violence

Dans son deuxième roman autobiographique, celui qui est devenu Edouard Louis raconte une expérience traumatisante qu’il a vécu alors qu’il s’était installé dans son propre appartement à Paris. Comme dans En finir avec Eddy Bellegueule il utilise plusieurs voix pour raconter son histoire1. Cette fois le procédé est un peu moins naturel puisqu’il fait parler sa soeur qui raconte une partie l’histoire qu’il lui a lui-même raconté. Et il insère dans ce récit sa version ou ses impressions de première main. Ce n’est pas du courant de conscience, mais du courant de parole. Pourquoi avoir choisi de la faire parler à sa place pour narrer des évènements qu’elle n’a pas vécu ? Simple procédé narratif visant à rendre le récit plus original, plus littéraire ? Je ne pense pas ou du moins ce n’est qu’une partie de l’explication. Il me semble qu’il a voulu ainsi rapprocher cette violence de ses origines comme si, malgré son nouveau statut et sa nouvelle vie, quelque chose le ramenait inexorablement vers la violence du monde dans lequel il a vécu son enfance. ...

La plus secrète mémoire des hommes

La plus secrète mémoire des hommes est un roman ambitieux à tel point que j’ai longtemps rechigné à l’ouvrir. Mohamed Mbougar Sarr prend un double risque, adopter un registre soutenu et construire une narration fragmentaire, faite de récits enchâssés. Et pourtant, ça fonctionne. Le roman avance sur une étroite ligne de crête – j’ai parfois eu peur de perdre pied. Le réalisme magique, revisité par l’Afrique, irrigue l’ensemble, en particulier à travers le livre dans le livre, Le labyrinthe de l’inhumain, signé par le mystérieux – et très inquiétant – T.C. Elimane. Ce texte devient une relique, et son auteur un mythe. Le jeune romancier puise aussi dans les racines de la littérature, notamment la tragédie, pour nourrir sa fresque. ...

Le Rakugo, à la vie, à la mort T1

Le Lézard Noir possède un très beau catalogue de mangas que l’on pourrait qualifier de mangas d’auteur, quelques exemples: Hirayasumi, Tokyo Kaido, La Cantine de minuit, Chiisakobé, mais aussi Le Rakugo, à la vie, à la mort qui entre dans cette catégorie. J’avais repéré depuis longtemps ce titre, mais je trouvais le sujet insolite, enfin disons que je ne savais même pas ce qu’étais le rakugo. En gros, il s’agit d’une forme ancienne (époque d’Edo) de spectacle vivant qui se situe quelque part entre le théâtre et le stand-up puisqu’il se pratique seul sur scène face à un public. Pour illustrer ma perception de cet art typiquement japonais j’imagine qu’une représentation pourrait ressembler à un spectacle de Fabrice Luchini. Cette série de manga aujourd’hui terminée qui compte 5 gros tomes dans son édition française, met en scène un jeune homme tout juste sorti de prison qui parvient à se faire accepter comme apprenti par l’un des plus grands maîtres rakugoka qui avait pourtant toujours obstinément refusé jusqu’alors de prendre un disciple. Le maître est aussi sérieux et rigoureux que son disciple est léger et gaffeur. Ce côté comique va bientôt être enrichi par d’anciennes histoires qui ne vont pas tarder à remonter à la surface. Un peu à la façon du rakugo cet art dramatique qui mêle comédie et tragédie. ...

2 sept. 2025 ·  BD  ♥

Les rochers de Poudre d'Or

Dans ce roman, Nathacha Appanah s’intéresse à une époque bien particulière de l’histoire de l’Île Maurice. Alors sous contrôle britannique et suite à l’abolition de l’esclavage (autour de 1835), les anglais ont remplacé les travailleurs agricoles d’origine africaine employés dans la culture de la canne à sucre par des “engagés” originaires de leur colonie indienne. J’ai mis le mot engagé entre guillemets car vous apprendrez en lisant ce livre que, malgré un principe de volontariat encadré par un contrat de travail et rémunéré, leurs conditions de voyage et de travail restent proche de celles des esclaves qui les ont précédé. ...

Nourrir la bête

Les récits d’alpinisme sont l’un de mes péchés mignons – alors que c’est une activité que je ne pratique que pour grimper en haut des étagères des bibliothèques –, alors lorsqu’ils sont écrits par un styliste comme Al Álvarez je ne boude pas mon plaisir. J’ai découvert cet auteur en lisant un livre consacré au poker – activité que je ne pratique pas non plus –, Le plus gros jeu, et j’ai tout de suite été sous le charme de ce mélange improbable de journalisme et de poésie, comme si un professeur d’université se mettait à écrire sur des sujets de la culture populaire, un gonzo journalisme littéraire en quelque sorte. ...

La conseillère

Ce livre est un régal. Tout d’abord la prose est fluide et aérée, le texte est facile à lire tout en étant bien écrit. Le récit est bien mené, tout s’enchaîne naturellement à tel point que j’ai eu du mal à le poser. Bref, un travail de journaliste talentueux, un journaliste qui sait bien raconter des histoires sans toutefois forcer son talent. Et l’histoire en question, bien que centrée sur le personnage énigmatique et charismatique de Marie-France Garaud, est celle de la toute jeune Ve République vue depuis les bureaux de l’Élysée et de Matignon. ...

Quand notre monde est devenu chrétien

En 312 le monde a connu un évènement majeur, la conversion – et non pas son baptême qui aura lieu sur son lit de mort – au christianisme de l’empereur romain Constantin. À cette époque la religion largement majoritaire de l’empire était le paganisme (le polythéisme antique) alors que le christianisme était encore considéré comme une secte. Puis un jour, à la suite d’un rêve, Constantin se convertit et arbore le chrisme (un symbole chrétien) sur son casque et les boucliers de ses soldats. Est-il possible que cette décision résulte uniquement de cette vision ? Quelles sont les conséquences de ce choix sur l’empire et sur toute l’Europe ? ...

Herzog

On comprend tout de suite pourquoi des textes de Philip Roth ont été choisis pour présenter le recueil des oeuvres de Saul Bellow dans la collection Quarto. Les premiers romans du cycle de Nathan Zuckerman – je pense par exemple à La leçon d’anatomie – ressemblent beaucoup à ce livre qui a été écrit deux décennies plus tôt. Cette ressemblance n’est pas fortuite, tous les deux sont des auteurs juifs américains de New York (ils font partie du même mouvement) mettant en scène des intellectuels issues du même milieu qu’eux, pour l’un Nathan Zuckerman, pour l’autre Moses Herzog. ...

Mémoires d'Hadrien

Refaire du dedans ce que les archéologues du XIXème on fait du dehors. Par cette phrase, issue de ses notes figurant en fin d’ouvrage, Marguerite Yourcenar résume aussi clairement et succinctement que possible le travail qu’elle a réalisé en écrivant ces mémoires à la place de l’empereur romain Hadrien. Comme Emmanuel Carrère qui le confesse dans Le Royaume, je n’étais pas parvenu à lire ce livre après deux tentatives, mais la troisième fut la bonne. La période des vacances a certainement aidé, mais je pense qu’il est aussi intéressant d’avoir le recul de l’âge pour bien apprécier la lecture de ce livre. La maturité est peut-être, comme pour son écriture dont le projet avait été imaginé très tôt mais qui n’a pu être réalisé que sur le tard, un prérequis pour pleinement apprécier ce livre. Plus prosaïquement, cette lecture est exigeante, chaque phrase compte car elle est l’essence, le concentré de connaissances, de travail et de talent phénoménal. Il faut aussi du temps pour se plonger dans ce IIème siècle qui est bien différent du notre et au cours duquel Hadrien a rompu avec l’expansionnisme de son prédécesseur Trajan pour se concentrer sur le maintien de la paix, l’organisation, la modernisation et la prospérité économique de cet immense empire. À ce titre, il est résolument moderne, un vrai homme d’état et j’ai été – agréablement – surpris par la portée politique de cet ouvrage. ...

Le Bûcher des innocents

Ce fait divers a hanté ma jeunesse – encore plus que l’affaire d’Outreau racontée par Florence Aubenas dans La méprise, avec là aussi un gros dérapage de la justice – j’ai eu l’impression de partager pendant des années mes repas avec les familles Villemin et Laroche – il existe meilleure compagnie. À l’époque je ne comprenais pas tout, mais ces histoires tordues, cette traque et surtout la présence terrifiante du Corbeau auteur de lettres et d’appels anonymes m’ont marqué. Bien des années après, j’ai dévoré avec un grand intérêt ce pavé, cette somme consacrée à l’affaire du petit Gregory. C’est un livre remarquable, fruit d’un travail de cinq ans qui a dû être une catharsis pour la journaliste qui a pu, avec le recul, revenir sur les évènements et sur les comportements des acteurs et des commentateurs de ce drame à commencer par elle-même qui s’interroge et nourrit des regrets et des remords. À leur décharge, il faut dire que cette affaire avait tout pour devenir le feuilleton macabre de la France des années 80. Les histoires de famille, la jalousie de la réussite sociale, la tromperie, un infanticide, la tabou de la mère, la vengeance, bref tout ce qui fait parler dans toutes les villes et les villages se retrouvait exposé jour à près jour au journal télévisé. On voudrait écrire une tragédie ou un polar, on ne pourrait pas inventer quelque chose de pire – ou de mieux selon le point de vue. ...

Islander T1

Des réfugiés sont massés au port du Havre – toute ressemblance avec Calais n’est pas fortuite – dans l’espoir de prendre un bateau pour le Royaume-Unis, destination d’un hypothétique salut. Mais c’est sur l’île d’Islande divisée par une guerre civile sécessionniste que l’espoir réside. Les migrations écologiques ne sont malheureusement plus de la fiction, on n’a donc aucun mal à entrer dans l’histoire. Le scénario nous emporte à toute vitesse et il n’y a aucun temps mort dans cette grosse BD de 160 pages. La violence est partout, elle est toujours exacerbée lorsque la vie humaine est menacée. La galerie de personnages est riche, ils sont charismatiques et il n’est pas évident de connaître les motivations de chacun. Comment ne pas parler du magnifique dessin. Le travail est impressionnant, très détaillé, les personnages et les décors sont magnifiques. Je n’ai pas l’habitude de lire ce type de thriller en bande dessinée, mais j’ai beaucoup apprécié ce premier tome d’une série qui comptera trois tomes. ...

29 juil. 2025 ·  BD

Beneath the Trees Where Nobody Sees

Cet objet remarquable attire immanquablement le regard. Dos toilé, signet en tissu rouge, couverture épaisse et débossée (en relief). En l’ouvrant on découvre des personnages anthropomorphiques tout mignons dans un dessin à se damner – quelque part entre Blacksad et le Vent dans les Saules – le tout dans ce qui ressemble à de la couleur directe réalisée à l’aquarelle dans des tons pastels. Ces animaux habitent un petit village bien tranquille et l’histoire se déroule dans les années 80. De quoi à passer un bon moment de détente. Mais en observant la couverture d’un peu plus près on est pris d’un doute affreux, que contient le sac que traîne l’ourse ? Ne serait-ce pas …, non ce n’est pas possible. ...

21 juil. 2025 ·  BD  ♥

Le Chat du Rabbin T1

Le chat du rabbin veut faire sa bar-mitsva. Le problème c’est que la bar-mitsva ce n’est pas pour les chats. Cette anecdote est prétexte à une plongée dans le judaïsme. […] le rabbin dit que la main humaine est un outil trop subtil pour qu’on tape les gens ou les chats avec. Le chat qui se voit soudain doté de la parole intervient comme un agent perturbateur qui questionne la religion et en révèle les contradictions. L’intervention d’un animal qui a un point de vue différent, souvent naïf au bon sens du terme, est un procédé fréquent dans la littérature, mais ce chat est un sacré malin et fait preuve d’une éloquence et d’une finesse réjouissantes. Les dialogues sont jouissifs, fins, intelligents et drôles. ...

20 juil. 2025 ·  BD  ♥