J’ai lu cette BD de façon anachronique. C’est-à-dire en 2017 alors qu’elle est sortie en 2011 – et je publie cet article en 2021. Depuis le temps, force est de constater que Mathieu Sapin a fait du chemin. Notamment sur le plan du dessin. À côté de ses derniers livres, Gérard et Le Château ce Journal d’un journal ressemble à un brouillon. On voit les prémisses de ce qu’il a n’a eu de cesse de développer par la suite avec beaucoup de talent. Cette remarque ne concerne pas que le dessin, mais plus globalement, le style, la narration. Ce mélange de documentaire, d’anecdotes et d’humour qui fait merveille est déjà présent, mais encore en gestation. Il utilise beaucoup le procédé, qui fonctionne plutôt bien, du contraste entre ce qu’il dit et ce qu’il pense – en utilisant les différents types de phylactères, ceux exprimant les pensées et ceux exprimant les paroles.

S’il ressemble au départ à une suite d’anecdotes – après tout il s’agit d’un journal –, il parvient rapidement à donner une bonne idée de ce qui fait ce journal si particulier qu’est Libération, son essence. Beaucoup de débats en interne, une ligne éditoriale bien affirmée, tout ceci concentré dans un lieu de travail atypique puisqu’il s’agit d’un ancien parking à étages. C’est pourtant une grosse machine, assez énorme même. En lisant ce journal on prend conscience du défit, sans cesse renouvelé, de sortir un nouveau numéro quotidiennement. Le mythe de Sisyphe de la presse en somme.

Comme pour tous les ouvrages de Mathieu Sapin de ce genre, on passe un bon moment tout en découvrant un univers dont nous ne connaissons pas ou peu les coulisses. Malgré les petits défauts de jeunesse, il a réussi d’abord à piquer ma curiosité puis à me faire prendre conscience du travail d’une rédaction. La prochaine fois que j’irai acheter des journaux, je repartirai avec un exemplaire de celui orné d’un losange rouge sous le bras – par pure curiosité évidemment.


Sapin, Mathieu. Journal d’un journal. Delcourt, 2011.