Son peigne d’ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l’aide d’une fourchette dans de la confiture d’abricots. Colin reposa le peigne et, s’armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite.

Ai-je besoin d’en dire plus pour vous donner envie de lire ce livre ? Je ne peux pas m’empêcher de dire quelques mots mais je vais faire court car je n’ai pas la prétention de m’appesantir sur une oeuvre qui a été abondamment commentée. Avec ce premier extrait, vous avez eu un aperçu de la poésie et de l’originalité de ce roman mais quel en est le sujet ? Dans cet univers improbable où les associations d’idées semblent prendre vie, nous suivons celles de Colin. Colin est un jeune homme d’une trentaine d’années appartenant à la jeunesse dorée – qui ressemble un peu à celle de Saint-Germain-des-Prés. Il ne travaille pas, passe sa vie à se divertir et ne rêve que d’une chose: les filles.

Le plus clair de mon temps, dit Colin, je le passe à l’obscurcir.

L’amour est l’un des grands thèmes du livre abordé de manière poétique avec du jazz comme bande son. Derrière ce côté sentimental se cache une vive critique de la société. C’est une oeuvre très connue qui restera à part, un ovni de la littérature – à part Le petit prince et un livre qui annonçait son originalité dès le titre (SchrummSchrumm ou L’excursion dominicale aux sables mouvants1) je n’ai pas connaissance de quelque chose d’aussi original. J’ai adoré le côté synesthésique, le mélange des couleurs, des sons et des sensations illustré par le célèbre pianocktail produisant des breuvages à partir de la musique jouée sur son clavier.

C’est exactement le goût du blues, dit-il. De ce blues-là même. C’est fort, votre invention, vous savez !

Ce sera un véritable régal pour ceux qui se laisseront porter et charmer par cette histoire et une expérience parfois déroutante pour les autres. En ce qui me concerne, c’est l’un de mes livres préférés même s’il est très triste.

À l’endroit où les fleuves se jettent dans la mer, il se forme une barre difficile à franchir, et de grands remous écumeux où dansent les épaves. Entre la nuit du dehors et la lumière de la lampe, les souvenirs refluaient de l’obscurité, se heurtaient à la clarté et, tantôt immergés, tantôt apparents, montraient leurs ventres blancs et leurs dos argentés.


Boris Vian, L’écume des jours, Le Livre de Poche, 2014, 350 p, Amazon.


  1. Fernand Combet, SchrummSchrumm ou L’excursion dominicale aux sables mouvants, Verticales, 2006, 352 p, Amazon↩︎