C’est l’histoire d’un adolescent paumé raconté à la première personne. Cet ado est Holden Caufield, il a 16 ans et vit aux Etats-Unis. L’histoire se déroule à New York sur deux ou trois jours pendant la période de Noël. Les faits sont décrits comme si le jeune homme nous les racontait à l’oral, nous faisant en même temps part de ses sentiments de ses interrogations et de ses doutes; c’est la technique du courant de conscience. Tout ceci semble très simpliste voire complètement décousu pourtant tout est extrêmement bien calculé. Au travers de ce qui semble être des bavardages et des inepties d’adolescents, on découvre la personnalité originale et complexe du jeune homme. Salinger utilise uniquement la voix de son personnage pour le décrire, il ne se met volontairement pas entre sa création et le lecteur ne commente pas, ne souligne rien. Il laisse le lecteur seul face au récit d’un Holden à la sensibilité à fleur de peau. On l’écoute d’abord avec un peu d’agacement, d’impatience et d’incrédulité qui peut même friser la lassitude. Puis, au détour d’une phrase, d’une anecdote on va être immanquablement touché par cette fragilité, par ce gentil garçon qui perd les pédales.

Le titre original du roman (The Catcher in the Rye) fait référence à un poème de l’écossais Robert Burns Comin’ Through the Rye. Voici un extrait, qui résume assez bien l’oeuvre, dans lequel Holden évoque ce poème et l’interprétation qu’il en fait:

Je croyais que c’était “Si un coeur attrape un coeur”. Bon. Je me représente tous ces petits mômes qui jouent à je ne sais quoi dans le grand champ de seigle et tout. Des milliers de petits mômes et personne avec eux je veux dire pas de grandes personnes – rien que moi. Et moi je suis planté au bord d’une saleté de falaise. Ce que j’ai à faire c’est attraper les mômes s’ils approchent trop près du bord. Je veux dire s’il courent sans regarder où ils vont, moi je rapplique et je les attrape. C’est ce que je ferais toute la journée. Je serais juste l’attrape-coeurs et tout. D’accord, c’est dingue, mais c’est vraiment ce que je voudrais être. Seulement ça. D’accord, c’est dingue.

C’est une véritable prouesse de réussir quelque chose d’aussi réaliste de faire passer autant d’émotion. J’ai quand même eu un problème avec la traduction, j’ai lu celle d’Annie Saumont. Finalement est-ce réellement un problème de traduction ou plutôt un problème d’obsolescence de la langue et notamment de l’argot ou du langage de la rue. En effet, il vieillit avec son époque. Imaginez-vous un adolescent dire aujourd’hui: “le gars untel” ou “la môme unetelle”. Que faut-il faire ? Faut-il tout revoir, tout réécrire – non pas ça, nous aurions droit aux MDR et autres termes dérivés du langage Internet. A ce compte là, il faudrait complètement réviser Céline, sortir une nouvelle version de La vie devant soi. Ou faut-il accepter le temps qui passe et qui patine ces oeuvres, leur confère un charme un peu désuet ? Ce livre reste l’un des plus beaux témoignage de cette période difficile qu’est l’adolescence. Certains détesteront ce roman et d’autres l’aimeront au delà du rationnel – c’est notamment le cas de Frédéric Beigbeder. Il ne laissera en tout cas personne indifférent.


Jerome David Salinger, L’attrape-coeurs, traduit par Annie Saumont, Pocket, 2002, 252 p, Amazon.