Raconter les choses comme elles se sont vraiment produites, c’est tellement moche que ça devrait être interdit. Je t’invente une histoire, c’est la moindre des politesses.

Lorsque j’ai lu Klezmer pour la première fois, j’ai été tellement séduit par le travail à l’aquarelle que j’ai acheté une petite boîte de peinture de voyage. De retour à la maison je me suis mis à reproduire la vue d’Odessa, tout en bleu pétrole et Orange coucher de soleil, qui est reprise dans la préface – je l’ai toujours et je garde un bon souvenir de cette expérience.

Quelque chose m’a profondément plu dans ce travail graphique. Je pense que c’est lié à l’imperfection, la spontanéité qui en émane et qui créé l’émotion. Les variations entre les niveaux de précision des dessins, les façon différentes d’appliquer les couleurs en sont un exemple. Puisque l’on parle des couleurs, il y a une dominante, mais Joann Sfar fait toujours en sorte qu’elles prennent leur distance avec la réalité. Sur ce plan graphique, il me semble qu’il réalise une de ses plus belle oeuvre. La façon brute de présenter ses planches en fait la démonstration, on dirait que tout est naturel, immédiat, un talent pareil est impressionnant – et presque insolant.

Il en va de même pour les textes, – on en a l’habitude, mais – tout est écrit à la main comme s’il rédigeait un brouillon et pourtant tout fonctionne, tout est intelligent, construit, il y a du fond dans les dialogues comme dans le récitatif. Si vous en voulez encore, prenez le temps de lire les notes situées en fin de volume – celles du second tomes sont encore mieux.

L’histoire est celle de musiciens que le destin va rapprocher. Dans ce premier tome, on apprend un peu de leur histoire et on assiste à leur première rencontre qui les mènera jusqu’à Odessa. Je me suis toujours souvenu d’une séquence qui relève de l’anecdote, mais qui m’a marqué. Un rabbin s’est fait voler son manteau, voici comment il s’y prend pour identifier le voleur.

Hier soir, lorsque j’ai découvert que mon manteau avait disparu, j’ai fait une opération de Kabbalah afin que m’apparaisse le visage du voleur. Sur un miroir brisé, avec l’ongle de mon pouce, j’ai tracé un cercle noir. Cette marque, le voleur l’a sur le front. Et il est parmi vous. À cet instant, un garçon qui se tenait dans le fond de la salle porte la main à son front.

Parler de musique n’est pas chose aisée, Sfar le fait avec un tel talent que c’est presque indécent. Klezmer figure sans nul doute à côté du Chat du Rabbin parmi les chefs-d’oeuvre de Sfar et parmi les très grandes bandes dessinées.


Joann Sfar, Klezmer #1: Conquête de l’Est, Gallimard, coll. “Bayou”, 2006, 144 p, Amazon.