L'accident de chasse

Je classe L’accident de chasse dans le club des très grandes bandes dessinées, je vais en citer quelques-unes pour donner une idée: L’Ascension du Haut Mal, Fun Home, Moi ce que j’aime, c’est les monstres, Asterios Polyp ou bien encore Maus. Pour faire partie de ce panthéon il faut un fond solide allié à une forme remarquable. Le fond est ici une histoire à tiroirs basée sur la vie du père et du fils Rizzo que l’auteur David Carlson a rencontré. L’histoire du père est connectée à celle, moins connue en France qu’aux États-Unis, de Leopold & Loeb que j’avais découvert – il y a très longtemps – en lisant le très bon livre Crime de Meyer Levin. L’auteur nous offre donc également l’occasion de revenir sur ces évènements sous un angle différent. ...

28 avr. 2025 ·  BD  ♥

Environnement toxique

Le titre, dans sa traduction française, aurait pu être mis au pluriel puisqu’il est question de plusieurs environnements toxiques. Celui des sables bitumeux d’où est extrait le pétrole et celui créé par les hommes qui les exploitent. Kate Beaton a travaillé plusieurs années pour des entreprises du secteur afin de rembourser son prêt étudiant dans les délais impartis. De cette expérience difficile, elle tiré ce récit autobiographique en bande dessinée. On y voit en grande majorité des hommes et quelques femmes déracinés travaillant loin de chez eux au sein d’un environnement hostile dans des conditions spartiates qui essaient de vivre ensemble. Mais, pour les rares femmes, c’est encore plus difficile car elles subissent au mieux des remarques sexistes au pire des agressions sexuelles de la part de leur collègues masculins. En plus de ce constat, l’artiste en devenir va prendre petit à petit conscience de l’impact écologique de l’activité d’extraction, ce qui ajoute encore à son malaise. ...

2 mars 2025 ·  BD  ♥

Hirayasumi T1

Une “tranche de vie”, c’est l’expression qui est le plus souvent utilisée pour parler de cette série. Un jeune homme (29 ans), nouveau propriétaire d’une petite maison à Tokyo va accueillir sa jeune cousine (18 ans) qui débute ses études supérieures dans cette immense métropole. Le ressort de la série tient à l’opposition des caractères de ces deux personnages. Lui est un dilettante qui profite de la vie, se contente de peu et apprécie les plaisirs simples. Elle est travailleuse – peut-être ambitieuse – et surtout anxieuse. ...

30 janv. 2025 ·  BD  ♥

Le Roi Méduse T1

On est devant une oeuvre d’art. Tout est réalisé à la peinture (aquarelle) et à la plume pour le texte. Les images sont foisonnantes extrêmement expressives. Le simple fait de les regarder nous plonge dans une ambiance troublante. J’ai été intrigué, admiratif et vaguement inquiet face à ce tourbillon de sensations. Le cerveau reçoit trop de stimuli on se croirait dans un rêve. La calligraphie est elle aussi extrêmement soignée, manifestement réalisée à la plume en utilisant des encres de couleurs différentes. ...

12 janv. 2025 ·  BD  ♥

La couleur des choses

Je suis un grand fan de minimalisme, d’épure et de simplicité. Avec La couleur des choses je suis servi, les personnages sont représentés par de simples disques de couleur, une légende indiquant simplement leur nom lors de leur première apparition. La narration par contre est sophistiquée, si la majorité des planches sont des vues de dessus, on trouve aussi de nombreuses infographies – je n’ai pas trouvé de meilleure appellation – et Martin Panchaud se sert de ce qu’il convient d’appeler des schémas pour matérialiser, par exemple, la différence entre le fil narratif principal et une alternative possible naissant dans l’esprit de l’un des protagonistes. Tout ceci pourrait paraître bien compliqué, mais il n’en est rien. La narration est étonnamment facile à suivre – comme si c’était quelque chose d’habituel – et chaque planche est un régal pour les yeux et pour le cerveau. Le souci du détail est constant, tout est équilibré, calculé, léché, un côté perfectionniste qui fait penser à Chris Ware. ...

3 janv. 2025 ·  BD

La cendre et l’écume

Le titre de cette autobiographie en bande dessinée fait référence à des cendres dispersées au bord d’une falaise donnant sur l’océan – le décor est posé. Il y a tellement de romans graphiques autobiographiques que c’est presque devenu un sous-genre de la bande dessinée, mais celle-ci est particulière. Tout d’abord elle n’est pas consacrée qu’à son auteur, le talentueux artiste Ludovic Debeurme, mais à sa famille sur plusieurs générations. Sa construction est si originale et fragmentaire qu’elle en devient invisible, on est transporté d’un endroit à un autre, d’une époque à une autre, le plus naturellement du monde comme si l’on suivait la pensée de l’auteur. Enfin, sur le plan graphique, elle est faite uniquement de dessins à l’encre et de textes manuscrits. Le tout est d’une élégance rare, les belles courbes vont du dessin au texte et le fils a certainement réussi à atteindre le rêve de son père qui était peintre. ...

22 déc. 2024 ·  BD  ♥

Oleg

J’avais adoré Aâma, mais apprécié sans plus L’Homme gribouillé de Frederik Peeters. Il y a toutefois une constance, la qualité des dessins et c’est peut-être encore plus vrai ici, dans Oleg. Il revient au noir et blanc comme dans Koma et on n’en apprécie que plus son trait précis et minutieux. Son talent dans le domaine graphique est énorme, difficile de ne pas le reconnaître en lisant cet album. Dans cet album autobiographique – ou autofictionnel – il reprend le thème éculé de l’auteur en panne d’inspiration, mais il en fait quelque chose de très fort. La réussite de cet album tient à la fois au rythme du récit et à la sincérité du propos. L’émotion très peu présente au début émerge peu à peu lorsqu’il dévoile ses sentiments pour sa famille. On voit l’oeuvre se construire sous nos yeux, il partage ses doutes et ses questionnements. J’ai aussi beaucoup aimé sa critique – son dédain – de notre époque où les gens sont scotchés à leur écran. Il réussit à produire une oeuvre brillante sans avoir de réel sujet, c’est peut-être à ça que l’on reconnaît un grand auteur ? ...

6 déc. 2024 ·  BD  ♥

La Distinction

Je n’ai pas étudié la sociologie à l’école et la découverte de cette BD me le fait regretter. Je connaissais évidemment les classes sociales, et observé attentivement la transformation du transfuge de classe Edouard Louis dans En finir avec Eddy Bellegueule, mais je dois avouer que je n’avais jamais réalisé à quel point nos goûts et nos comportements étaient assujettis à notre appartenance à une classe sociale. La BD se dit librement inspirée du livre éponyme de Pierre Bourdieu et c’est le cas puisque Tiphaine Rivière – dont le prénom donne un indice sur sa classe sociale – développe sa propre histoire qui prend sa source au sein d’une salle de classe d’un lycée, l’un des rares lieux où les élèves de différentes classes sociales se mêlent, travaillent ensemble et tissent des relations avant de rejoindre définitivement à l’âge adulte leur classe sociale de destination. L’exercice est délicat et forcément caricatural, mais le résultat est vraiment convaincant et c’est même surprenant de voir à quel point ces stéréotypes correspondent à la réalité – on pense forcément à des personnes que l’on a croisé ou que l’on côtoie. ...

24 oct. 2024 ·  BD  ♥

Powers T1

Un petit revival, ça fait du bien de temps en temps. Cette fois j’ai jeté mon dévolu sur Powers – j’ai une édition Semic qui tombe en lambeaux. C’était l’époque des crossovers entre l’univers des super-héros et celui du polar. Les scénaristes avaient peut-être le désir d’ajouter de la crédibilité et d’encrer leurs histoires d’encapés en ajoutant une bonne dose de flics et c’est pas les références qui manquent puisque ce registre a rempli des étagères de littérature américaines et a donné naissance à des heures et des heures de séries télé. A ce petit jeu, Watchmen a lancé un très gros pavé dans la mare en marquant le territoire et en restant encore aujourd’hui une référence dans le domaine. Mais d’autres auteurs on suivi ce filon. Parmi eux, Brian Michael Bendis sort incontestablement du lot et la série Powers est emblématique de son travail. ...

21 sept. 2024 ·  BD

L'enfance d'Alan

On pourrait dire que ce livre constitue, avec Martha & Alan, un prequel à La guerre d’Alan. Comme son nom l’indique, ce volume s’intéresse à l’enfance d’Alan Ingram Cope et nous plonge donc dans une époque assez lointaine. Dès l’introduction, Emmanuel Guibert touche au sublime. Il nous transporte en Californie dans une suite de plans pris depuis l’intérieur d’une voiture, les couleurs du jour déclinant au fil des pages, pour illustrer un texte à la fois simple et très évocateur. ...

16 juin 2024 ·  BD  ♥

Capital et Idéologie en bande dessinée

Comment s’attaquer à un tel défi, adapter en bande dessinée le pavé de Thomas Piketty, Capital et idéologie ? Cette entreprise semble vouée à l’échec. Mais cette adaptation, comme c’est le cas pour le livre de Yuval Noah Harari, Sapiens est une réussite. Pourtant, le challenge semblait être encore plus relevé car les concepts de l’économie sont abstraits et ne se prêtent guère à la narration. Evidemment Economix a ouvert la voie et – beaucoup – d’autres on suivi depuis, mais quand même. Quel est le secret de cette réussite ? Tout d’abord – comme dans beaucoup de domaines – du travail, je crois savoir que cette adaptation a pris plus de deux années. Ensuite, la bonne trouvaille a été sans conteste d’ajouter une ossature narrative à cet essai pour raconter une histoire et proposer un fil conducteur au lecteur. Cette structure prend la forme de la destinée d’une famille depuis avant la révolution française jusqu’à nos jours. L’arbre généalogique sert de repère et d’index dans le temps, mais permet aussi aux auteurs d’illustrer le poids de l’hérédité et de la transmission du patrimoine dans l’accumulation de la richesse. ...

1 juin 2024 ·  BD  ♥

Le Nao de Brown

J’ai l’habitude d’être plutôt enthousiaste – ou au moins positif – lorsque je rends compte de mes impressions sur un livre. Mais là, je n’exagère pas en disant que je n’ai pas lu – en une vingtaine d’années – des dizaines de BD de cette qualité – je la mettrais par exemple au même rang qu’Asterios Polyp. Au moins sur le plan graphique c’est indéniable. Souvent la couverture d’une BD donne à voir le meilleur du dessins – l’équivalent de la bande annonce pour un film –, c’est souvent elle qui est à l’origine de l’acte d’achat. Mais ici, paradoxalement, elle n’est pas à la hauteur du reste de l’ouvrage. Les dessins sont magnifiques, d’une élégance rare et délicatement mis en couleur à l’aquarelle. C’est un régal de la première à la dernière page. Le dessin de Glyn Dillon, d’une sensibilité extrême, fait écho à l’histoire qui est elle aussi très raffinée. Celle d’une jeune femme, Nao Brown, qui est à moitié japonaise et à moitié anglaise. Elle souffre de TOC qui rendent sa vie difficile. Cette BD nous fait partager son quotidien. On découvre ses passions, ses amis, sa recherche de l’amour et d’une vie sereine. Il y a aussi un récit enchâssé, lui aussi magnifiquement illustré. ...

4 mars 2024 ·  BD  ♥

Perpendiculaire au soleil

N’y allons pas par quatre chemins, ce livre est un chef-d’oeuvre. Il ne s’agit pas d’une oeuvre de fiction, c’est une bande dessinée co-construite de façon épistolaire puisque l’un des auteurs, et protagoniste principal, est en prison, dans le couloir de la mort, dans l’attente affreuse de l’application de sa peine. Bien que Renaldo soit co-auteur de ce livre, seul mon nom figure sur la couverture, à mon grand regret. Aux États-Unis comme en France, la loi empêche une personne condamnée de tirer un profit financier du récit de son crime. ...

3 févr. 2024 ·  BD  ♥

Nos mondes perdus

Tout commence par le commencement, la genèse, les théories créationnistes. La religion en prend un bon coup au passage, on ne pouvait pas en attendre moins d’un esprit scientifique comme celui de Marion Montaigne. Et donc Dieu, après avoir créé tout un univers et la mécanique quantique décide de surveiller de près ce que chaque humain fera de ses organes génitaux. Ensuite, dans l’ordre chronologique, elle nous explique comment tout ce petit monde s’est mis à douter fortement en pratiquant l’archéologie, qui deviendra la paléontologie, et en découvrant des squelettes qui ne ressemblaient manifestement à rien de connu. ...

19 déc. 2023 ·  BD  ♥

Le Poids des héros

Un flot d’émotions m’a submergé pendant la lecture de cette BD – je n’étais pas loin d’avoir les larmes aux yeux. L’histoire des grand-pères ayant vécu l’exil, la guerre et bien pire encore est émouvante, mais sa façon de se propager depuis l’enfance de l’auteur jusqu’à sa restitution sous la forme de cet ouvrage l’est peut-être encore plus. Elle traverse ainsi les générations et grâce à cette publication se transmet plus largement encore au grand public. Ce doit être une satisfaction pour David Sala, le poids de la responsabilité envers ses ancêtres doit peser moins lourd sur ses épaules. ...

13 avr. 2023 ·  BD  ♥

Dragon Ball T1

C’est l’apparition de Baba la voyante sur une présentation au travail qui m’a donné envie de lire Dragon Ball – c’est assez cocasse, mais l’anecdote est authentique. Je me suis alors mis en quête d’une édition à la hauteur de l’oeuvre et j’ai été comblé de découvrir l’existence de la Perfect Edition publiée par Glénat – elle se nomme Ultimate Edition dans d’autres pays. Elle propose un plus grand format que le format manga classique – disons le rapport entre un livre grand format et son édition en poche –, elle contient l’équivalent de deux tomes par volume, l’intégralité des pages en couleurs et de meilleures traductions. Bref de quoi à se plonger confortablement dans ces aventures. ...

13 mars 2023 ·  BD  ♥

Les Pizzlys

Je crois qu’ils appellent ça un pizzly. C’est un mélange entre un ours polaire et un grizzly. Là-haut, ça fond. Alors les ours polaires descendent et ils rencontrent nos ours. Eco-anxieux passez votre chemin – et faites de même si vous ne voulez pas le devenir. Je plaisante pour dire à quel point cette histoire est percutante et remue les consciences, et donc à quel point elle est réussie. Et ce n’est pourtant pas facile de tirer son épingle du jeu sur un sujet aussi présent dans l’actualité qui a déjà beaucoup infusé dans le monde de la culture. Une fratrie hyperconnectée va faire l’expérience ultime de la déconnexion en partant habiter dans une cabane perdue au fin fond de l’Alaska, terre où la nature est reine et où les humains entretiennent depuis toujours des liens forts avec elle. Mais tout ne va pas se dérouler comme prévu. ...

29 janv. 2023 ·  BD  ♥

Donjon Potron-Minet

Une tour grise visible à trois heures de marche où les courants d’air empêchent les rats d’indisposer les cafards. C’est la maison de mon père. Ma période préférée du Donjon est incontestablement le Zénith. Mais pour vraiment l’apprécier, il est indispensable d’en connaître la genèse et les premiers pas de celui qui en deviendra le puissant gardien, Hyacinthe de Cavallère. Du gamin de la campagne un peu perdu qu’il est au début, on le voit au fil de ces trois premiers tomes prendre de l’assurance et peu à peu s’affirmer. Les rencontres qu’il fait forgent son caractère et son premier acte fondateur en tant que gardien est réalisé lorsqu’il s’attache les services de ses premiers employés, les terribles brous. La lecture de ces trois premiers tomes nous apprendrons bien d’autres choses que je ne vais pas révéler ici. ...

25 déc. 2022 ·  BD

Indélébiles

Après la sidération racontée dans Catharsis vient le temps des souvenirs et de la nostalgie. Luz nous fait revivre les bons moments, la grande époque de la rédaction de Charlie Hebdo. Des moments qu’il évoque en se mettant en scène lors d’une nuit d’insomnie, sous un trait différent réalisé au pinceau. Tous les collaborateurs du journal sont très bien croqués – il faut dire qu’il les connai[ssai]t par coeur et qu’il avait dû les dessiner un nombre incalculable de fois. Dans le lot, et même si ce n’est pas le seul, Cabu rendu en quelques traits est génial. Son statut de papa de la rédaction, de mentor de Luz, le respect que les autres ont pour lui, n’en est que plus émouvant. ...

19 nov. 2022 ·  BD  ♥

Beate et Serge Klarsfeld

Juste après avoir lu La disparition de Josef Mengele, cette BD consacrée au couple Klarsfeld m’est tombée entre les mains. Ce couple est formé de Serge, qui est un français dont le père a été déporté et tué, et de Beate, qui est une jeune allemande dont les parents on fermé les yeux devant les crimes nazis et même voté pour eux. Je suis désolée pour tout cela, Serge. Tu sais, chez moi à Berlin, on évitait de parler des actes du IIIe Reich. On vivait en se voilant la face et en se donnant bonne conscience. […] Ils n’étaient pas nazis, mais ils avaient voté pour Hitler comme les autres. ...

8 oct. 2022 ·  BD  ♥