Joe Sacco est un reporter de guerre, mais d’un genre particulier puisqu’il réalise ses reportages en BD. Pour Goražde il s’est rendu sur place, c’est-à-dire dans ce qui était la Yougoslavie et qui est devenu la Bosnie, vers la fin du conflit qui a balafré l’Europe dans les années 90. La particularité de ce travail – en plus du médium utilisé – et qu’il a travaillé sur le temps long en se mêlant à la population. Il a donc séjourné chez l’habitant dans cette ville qui est connue pour être l’une des enclaves se trouvant aux confins de la Bosnie, à la frontière avec la Serbie. Dans cette ville ceux qui, il y a quelques temps, entretenaient des relations de bons voisinages en sont venus à se massacrer pris dans la spirale de ce conflit ethnique.

Joe Sacco, en excellent journaliste qu’il est, ne juge pas, même si ce qu’il observe et les récits qu’il recueille ne le laissent pas indifférent – en même temps, difficile d’être indifférent en voyant ce massacre. Il reste à sa place et s’efforce de nous rapporter ce qu’il a entendu – c’est un élément très présent, il reconstitue de nombreux récits d’habitants. Dans son récit, le tragique côtoie l’anecdotique – disons des scènes de la vie de tous les jours. Cette combinaison, ce contraste, donne une vision de ce qu’il se passait dans cette ville dévastée. Malgré les horreurs, la vie reprend ses droits et laisse parfois – pas très souvent quand même – la place à des moments drôles.

Un vieil homme m’a jeté un coup d’oeil et aussitôt perdu l’espoir que l’armée américaine puisse secourir la Bosnie. Les américains sont petits et portent des lunettes, dit-il […]

Il prend aussi le temps de contextualiser les évènements sous un angle géopolitique via des explications précises, cartes à l’appuie. Ce mélange habile ancre la guerre dans la réalité, il permet de se faire une meilleure idée de l’impact sur la vie des gens de ce que nous suivons au travers des journaux.

Côté technique, c’est du travail de fourmi qui lui a pris plusieurs années – 3 je crois avec une avance financière dérisoire de la part de sa maison d’édition dont il s’est contenté en échange d’une liberté totale. Il a un souci du détail qui frise l’obsession. Le résultat est une somme – augmentée de longues préface et postface qui apportent des informations sur les coulisses de la BD –, un témoignage de grande qualité sur cette tragédie de notre histoire récente qui semble avoir une fâcheuse tendance à se reproduire. Le courage de ces bosniaques force le respect et Joe Sacco leur a rendu un bel hommage qui lui aussi mérite notre plus grand respect.


Sacco, Joe. Goražde: La Guerre en Bosnie Orientale 1993-1995. Rackham, 2014.