La situation en Indochine est tout simplement désastreuse, admit-il. La guerre est pour ainsi dire perdue. Tout au plus peut-on espérer lui trouver une sortie honorable.

J’avais adoré L’Ordre du jour, mais cette Sortie honorable est peut-être un cran au-dessus. C’est bien simple, j’ai eu envie de tout citer, tout noter – ça a d’ailleurs été la principale gène de ma lecture – tellement certaines phrases sont à la fois belles, percutantes et vraies.

Un commandant en chef [à propos d’Henri Navarre] est un mélange d’honneur mal placé, de petits chagrins, de grandes fiertés, comme nous tous au fond, mais tout cela fichu dans un uniforme et repétri, dissimulé, foutu de valeurs surannées dont on a du mal à savoir aujourd’hui ce qu’elles pouvaient être.

Le sujet ici est la France coloniale et plus particulièrement celle de l’Indochine. Éric Vuillard n’aime rien mieux que d’épingler les entreprises et leur collusion avec la sphère politique.

Les politiciens sont experts en toutes sortes de roublardises, ils jouent, le plus souvent fort mal, toujours le même rôle, mais la sincérité impressionne, elle les laisse démunis.

C’était déjà le cas dans L’Ordre du jour et c’est encore le cas ici. Michelin et son besoin en caoutchouc est sa première victime.

Et voilà comment nos héroïques batailles se transforment les unes après les autres en sociétés anonymes.

Éric Vuillard nous pousse à nous demander à qui profite la guerre, combien faut-il de morts pour rassasier les actionnaires ? Il peut continuer à exploiter le filon, il ne semble pas prêt de s’épuiser. Il y a un côté de gauche, mais de la gauche des grands combats, des humanistes qui fait du bien à lire. Comme dans ses ouvrages précédents, il va à l’essentiel, il s’intéresse à un moment charnière de l’histoire et le décortique pour nous donner sa vision en seulement quelques dizaines de pages très soignées. Comme je le disais, ce ne sont pas les sujets qui manquent, j’espère avoir l’occasion de lire prochainement d’autres livres de ce niveau.

Alors, descendant l’escalier, il se rappela comment, dès le début de la guerre, la banque avait discrètement arrêté d’investir, elle s’était très vite débarrassée de ses positions indochinoises, faisant transiter ses fonds vers des cieux plus cléments, et il se dit, malgré la petite aigreur qu’il ne pouvait s’empêcher de ressentir, qu’ils avaient décidément eu du nez, et qu’ils avaient bien fait de se retirer aussitôt à pas de loup.


Vuillard, Eric. Une sortie honorable. Actes Sud, 2022.