Les impatients

J’avais déjà tenté de lire Feu de Maria Pourchet, mais je n’avais pas réussi à aller jusqu’au bout car son style, à l’époque, m’avait rebuté. Avec Les impatients, l’expérience a été différente. Le style est toujours très marqué, très moderne, mais cette fois-ci il ne m’a pas dérangé. Il capte l’attention, parfois au détriment de l’histoire, mais il donne au texte une voix originale et une présence singulière. L’une des particularités de ce roman est ce narrateur qui s’adresse directement au lecteur, brisant en permanence le quatrième mur et rendant la lecture interactive. ...

Les rochers de Poudre d'Or

Dans ce roman, Nathacha Appanah s’intéresse à une époque bien particulière de l’histoire de l’Île Maurice. Alors sous contrôle britannique et suite à l’abolition de l’esclavage (autour de 1835), les anglais ont remplacé les travailleurs agricoles d’origine africaine employés dans la culture de la canne à sucre par des “engagés” originaires de leur colonie indienne. J’ai mis le mot engagé entre guillemets car vous apprendrez en lisant ce livre que, malgré un principe de volontariat encadré par un contrat de travail et rémunéré, leurs conditions de voyage et de travail restent proche de celles des esclaves qui les ont précédé. ...

Herzog

On comprend tout de suite pourquoi des textes de Philip Roth ont été choisis pour présenter le recueil des oeuvres de Saul Bellow dans la collection Quarto. Les premiers romans du cycle de Nathan Zuckerman – je pense par exemple à La leçon d’anatomie – ressemblent beaucoup à ce livre qui a été écrit deux décennies plus tôt. Cette ressemblance n’est pas fortuite, tous les deux sont des auteurs juifs américains de New York (ils font partie du même mouvement) mettant en scène des intellectuels issues du même milieu qu’eux, pour l’un Nathan Zuckerman, pour l’autre Moses Herzog. ...

Mémoires d'Hadrien

Refaire du dedans ce que les archéologues du XIXème on fait du dehors. Par cette phrase, issue de ses notes figurant en fin d’ouvrage, Marguerite Yourcenar résume aussi clairement et succinctement que possible le travail qu’elle a réalisé en écrivant ces mémoires à la place de l’empereur romain Hadrien. Comme Emmanuel Carrère qui le confesse dans Le Royaume, je n’étais pas parvenu à lire ce livre après deux tentatives, mais la troisième fut la bonne. La période des vacances a certainement aidé, mais je pense qu’il est aussi intéressant d’avoir le recul de l’âge pour bien apprécier la lecture de ce livre. La maturité est peut-être, comme pour son écriture dont le projet avait été imaginé très tôt mais qui n’a pu être réalisé que sur le tard, un prérequis pour pleinement apprécier ce livre. Plus prosaïquement, cette lecture est exigeante, chaque phrase compte car elle est l’essence, le concentré de connaissances, de travail et de talent phénoménal. Il faut aussi du temps pour se plonger dans ce IIème siècle qui est bien différent du notre et au cours duquel Hadrien a rompu avec l’expansionnisme de son prédécesseur Trajan pour se concentrer sur le maintien de la paix, l’organisation, la modernisation et la prospérité économique de cet immense empire. À ce titre, il est résolument moderne, un vrai homme d’état et j’ai été – agréablement – surpris par la portée politique de cet ouvrage. ...

Le Chaos qui vient

L’effondrement social et les guerres intestines tuent, détruisent des économies et font régresser l’humanité. Il est nécessaire de comprendre, et clairement, pourquoi cela se produit pour stopper le cycle sans fin des vagues récurrentes d’instabilité et de violence. Peter Turchin est l’un des fondateurs d’une discipline qui se propose d’éclairer cette question, la cliodynamique. Le principe de cette discipline – qui se rapproche un peu de la macro-sociologie comme pratiquée par Emmanuel Todd dans son livre La Défaite de l’Occident – est relativement simple, traiter l’histoire comme une science. C’est-à-dire collecter des données, les analyser, les modéliser, valider ces modèles et être enfin en mesure de les appliquer pour prévoir. Lorsque l’on regarde les groupes d’individus, et la société dans laquelle ils vivent, avec une focale assez large, ils ont tendance à se comporter d’une façon homogène qui tend globalement à maximiser leur intérêt. Ces comportements reproductibles créent des cycles qu’il est possible d’observer dans le passé et de projeter dans le futur. Parmi les phénomènes qui régissent ces oscillations, l’auteur met en avant celui de la surproduction des élites. En gros, le déséquilibre entre les élites (les 1%) et le reste de la population qui crée des embouteillages dans le haut du panier et accroit les inégalités en appauvrissent la classe laborieuse. Ces mécontents des deux bords se regroupent alors pour faire tomber un système – les élections de Donald Trump pourraient en être le signe. Comprendre cette dynamique et l’approche scientifique a été pour moi plus intéressant – à ce propose ne négligez pas de lire les annexes qui sont une partie intégrante du livre – que d’en connaître le constat aujourd’hui et dans les années à venir. Mais je dois avouer que la large partie consacrée aux États-Unis – qui sont considérés comme une ploutocratie par l’auteur – est édifiante notamment lorsque l’on constate le recul de l’espérance de vie et de la croissance humaine (la taille moyenne de la population est un indicateur du niveau de vie). ...

Aux cinq rues, Lima

Après Le héros discret, j’ai poursuivi ma découverte par un autre livre récent de Mario Vargas Llosa. Aux cinq rues, Lima à un côté plus politique car l’auteur met en scène celui qui fut son opposant lors de l’élection présidentielle de 1990, Alberto Fujimori. Le fil rouge est une affaire de journalisme trash agrémentée par des histoires de couples plus légères et croustillantes – Mario était un coquin. La prose de l’auteur péruvien est toujours aussi limpide, son écriture plutôt classique au premier abord se modernise vers la fin du roman pour entremêler des dialogues provenant de différents contextes. Ce n’est pas un grand livre, mais une lecture plaisante entre thriller et comédie de moeurs. Un roman parfait pour les vacances écrit par un prix Nobel publié dans la Pléiade – de son vivant –, ça ne se refuse pas. ...

Le héros discret

Le héros discret est le premier livre de Mario Vargas Llosa que je lis et ce ne sera pas le dernier. Même s’il ne s’agit pas de l’un de ses grands livres qui sont souvent plus anciens, j’ai beaucoup apprécié cette lecture. L’auteur nous invite à suivre en parallèle les déboires de deux protagonistes confrontés à des maîtres chanteurs. La prose du prix Nobel de littérature est très fluide, très simple et agréable à lire. J’ai ressenti un réel plaisir à chaque fois que j’ai repris la lecture, une sorte de réconfort à me replonger dans cet univers. ...

Giovanni Falcone

Roberto Saviano revient sur son sujet de prédilection, la Mafia, avec un livre monstre qui tourne autour de la figure emblématique du juge Giovanni Falcone. Au delà du juge, le livre décrit le combat dantesque de la justice contre la Mafia qui a donné lieu au maxi-procès de Palerme lors duquel ont été jugés près de 500 accusés. L’auteur a délaissé la forme journalistique de Gomorra pour celle du roman vrai ou roman non fictionnel qui permet de raconter des évènements à hauteur d’homme. Et les hommes qui ont servi la justice pour lutter contre le crime organisé on fait preuve d’un courage et d’une abnégation hors du commun. Ces hommes se savaient condamnés à force de voir la mort frapper autour d’eux. Et bientôt les bombes ont remplacé les rafales de Kalashnikov. ...

Gomorra

J’ai piqué plusieurs fois du nez à force de lire des noms et des surnoms de mafieux. Je me suis réveillé, j’ai recommencé et puis j’ai finalement abandonné, assez frustré. Frustré parce que le sujet m’intéresse, j’aime beaucoup comprendre ces organisations et la façon dont elles fonctionnent. Ce livre contient énormément d’information, mais il est malheureusement assez indigeste. Sa structure est inexistante et l’écriture est au kilomètre, la combinaison des deux est de nature à décourager les lecteurs les plus tenaces. L’exact opposé d’un autre livre consacré au crime organisé, Tokyo Vice, dans lequel Jake Adelstein, par un subtil mélange entre journalisme et roman noir, parvient à la fois à informer et à divertir. Je ne déconsidère pas pour autant le travail de Roberto Saviano et je vais d’ailleurs lire son dernier livre consacré à celui qui a payé de sa vie la guerre qu’il a livré à la mafia, Giovanni Falcone. ...

La guerre par d'autres moyens

La politique, c’est la guerre continuée par d’autres moyens. C’est à cette citation de Clausewitz que Karine Tuil a emprunté le titre de son dernier livre. Il mêle politique et cinéma post MeToo. Ce sont des sujets qu’elle aborde régulièrement et elle est plutôt à l’aise dans ce domaine. Sur le plan technique, il faut souligner la présence d’une narratrice qui fait partie de l’histoire et qui parle, lorsqu’elle est concernée, à la première personne du singulier. Le roman est prenant, clair et intéressant, elle maîtrise son sujet. Elle fait du roman, difficile donc de lui reprocher que ses livres sont trop romancés. Rien à dire donc, enfin presque, l’histoire est parfois cousue de fil blanc et les personnages stéréotypés, mais ça fait partie du genre et c’est le peut-être le prix à payer pour écrire un roman qui reste facile d’accès. ...

Bien-être

Le bien-être c’est le Graal pour toutes les personnes ayant déjà assouvi leurs besoins se trouvant au bas de la pyramide de Maslow. Pour y parvenir, la route est semée d’embuches et de fausses pistes. Nathan Hill parvient à saisir les dérives de notre époque avec une touche d’humour sarcastique. Il effectue une radiographie ou plutôt une autopsie du couple monogame occidental dans un roman dont l’intrigue se déroule sur une période relativement courte, mais qui revient abondamment dans le passé. ...

Intermezzo

Le roman de Sally Rooney gravite entre des pôles soumis à des mécanismes d’attraction / répulsion. Ces deux pôles sont deux frères, le plus jeune est un champion d’échecs et le plus âgé avocat. Les relations amoureuses sont au coeur du livre – on est bien chez Sally Rooney –, mais peut-être un peu moins que dans ses précédents romans, au profit des relations familiales. L’expression est éculée, mais j’ai envie de l’écrire quand même, ce roman ressemble à celui de la maturité. ...

La Défaite de l’Occident

Emmanuel Todd a une réputation sulfureuse – sa page Wikipédia est verrouillée – liée à ses positions et à des propos sans concession. Il se traine la réputation ambigüe de prophète depuis qu’il a prévu – ou prédit – la chute de l’URSS et la fin de l’hégémonie américaine. Ce n’est pas un hasard, il ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal, mais en s’appuyant sur sa spécialité, la structure familiale, et sur des statistiques macroscopiques qui n’ont rien d’original: la démographie, l’éducation, le budget. L’épine dorsale de La défaite de l’Occident est la disparition des religions en Occident – au premier rang desquelles le protestantisme qui selon lui a eu une grande influence au Royaume-Uni et aux États-Unis (les WASP) – qu’il classe en trois stades ...

Pastorale américaine

Pastorale américaine est le premier roman de la trilogie américaine (reprise récemment, et augmentée du complot contre l’Amérique, en Quarto sous le titre L’ Amérique de Philip Roth) et l’un des neufs (le sixième) mettant en scène l’écrivain alter ego de Philip Roth, Nathan Zuckerman. Dans le quartier, il y avait un enfant qui surclassait nettement les autres, il était le meilleur en sport, rendait les filles folles et ressemblait si peu aux autres qu’ils l’appelaient le Suédois. Bien des années plus tard, les chemins si différents – l’un en ligne droite et l’autre tortueux – du Suédois le côté clair et de Zuckerman le côté sombre vont à nouveau se croiser. ...

La colère et l’oubli

Je ne suis pas un spécialiste de ce sujet, juste un témoin occidental de la montée du jihadisme dans nos pays européens et de ses manifestations les plus visibles et les plus cruelles, les attentats. Ce livre retrace clairement l’histoire de cette vague qui, comme le souligne Hugo Micheron, évolue en deux temps, à marée haute et à marée basse. L’ouvrage est articulé en trois phases chronologiques. Les vétérans - décennie 1990: Il revient sur les origines du mouvement à Peshawar pendant la guerre d’Afghanistan, qui a vu se rejoindre des musulmans de nombreux pays pour faire la guerre à l’envahisseur russe. À la fin de la guerre, ils sont retournés essaimer dans leur pays ainsi q’en Europe et en particulier à Londres pour former ce qui a été nommé le Londonistan. Les pionniers - décennie 2000: Les attentats du 11 septembre sont le point de départ d’un jihadisme européen, c’est-à-dire émanant d’Europe pour frapper l’Europe. Les autochtones: C’est l’époque de la guerre en Syrie qui attire sur son sol des combattants, de l’essor de Daech (État islamique) et de l’établissement, relativement éphémère, d’un califat. Tout est extrêmement bien documenté – Hugo Micheron est un enseignant-chercheur spécialiste de ce sujet – et très clair – même pour le profane que je suis. Il montre bien les mécaniques de radicalisation qui passent principalement par l’établissement de communautés dans des villes ou des quartiers, les prêches et la prison et qui ont su s’adapter aux nouveaux moyens de ommunication numériques qui ont connu une révolution pendant ces décennies. Les propos factuels et dépassionnés d’Hugo Micheron donnent au lecteur une vision claire et clinique des récents évènements qui ont bouleversé nos vies d’européens. Ce livre est un outil indispensable pour acquérir une connaissance de ce phénomène, connaissance qui est un préalable obligatoire à la compréhension de l’évolution de nos sociétés. Comme l’auteur le souligne dans sa conclusion, les différents mouvement politiques ne semblent toujours pas appréhender cette problématique de la bonne manière. ...

Le père Goriot

Je possède ce Folio depuis que l’on m’a demandé de l’acheter dans le cadre des cours de Français au collège – ou au lycée. A l’époque, je ne l’avais pas lu, seulement certaines parties – le strict minimum. Depuis, de temps en temps, il se rappelait à moi et j’ai enfin sauté le pas. Il n’y a pas de principes, il n’y a que des évènements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les évènements et les circonstances pour les conduire. ...

L'emprise

Je n’avais pas lu Marc Dugain depuis très longtemps – depuis la Malédiction d’Edgard peut-être. Puis, à l’occasion de la sortie de son livre Tsunami, j’ai entendu parler de son précédent thriller politique dont le premier volet est L’emprise. Alors qu’en dire ? Les premières choses qui me viennent à l’esprit sont les similitudes qu’il présente avec la série TV Baron Noir – c’est dire la référence. Il contient quelques réflexions politiques intéressantes. ...

Le combat du siècle

Le combat du siècle ou The Rumble in the Jungle est le combat, organisé par Don King, qui eut lieu en 1974 à Kinshasa (au Zaïre, devenu depuis la RDC) et qui opposa les deux plus grands boxeurs de l’époque, le puncheur Georges Foreman et le technicien Mohamed Ali pour la conquête du titre de champion du monde de boxe anglaise. Et ce n’est pas tout, le combat n’est pas raconté par n’importe quel journaliste, mais par l’écrivain Norman Mailer plusieurs fois lauréat du prix Pulitzer. Vous en voulez encore ? Mailer a inscrit son récit dans la mouvance du nouveau journalisme. Le récit est très novateur – même aujourd’hui prés de 50 ans après sa publication – puisqu’il sort du cadre du reportage pour s’inclure dans le récit – il parle d’ailleurs de lui à la troisième personne, en utilisant son prénom, Norman – comme le fait aujourd’hui Emmanuel Carrère et comme l’on fait avant lui Tom Wolfe, Truman Capote, Joan Didion ou encore le roi du Gonzo Hunter S. Thomson – ce dernier est d’ailleurs présent dans le récit puisqu’il se trouvait sur place pour suivre l’évènement. Il profite de cette position d’observateur pour dire son étonnement de découvrir ce pays immense au coeur de l’Afrique dirigé par le dictateur Mobutu. ...

Ceux du Nord-Ouest

C’est la première fois que je lis Zadie Smith et l’expérience est très convaincante. Ce roman comme son titre nous le suggère prend ses racines dans les quartiers du Nord-Ouest de Londres. L’éditeur compare ce roman au Mrs Dalloway de Virginia Woolf – pourquoi pas. Il raconte l’évolution parallèle, mais bien différente, de deux amies. De leur jeunesse à l’âge adulte. Cette narration n’est pas effectuée dans l’ordre chronologique, mais selon un tempo savamment orchestré. Et, c’est dans cette écriture qu’elle excelle, dans les dialogues à la fois externes, entre les personnages, et internes, dans la tête des personnages, ce que l’on appelle le courant de conscience. ...

Jan Karski

Le livre de Yannick Haenel consacré au héros de la résistance polonaise Jan Karski compte trois partie distinctes. La première est une reprise de l’interview de Jan Karski filmée par Claude Lanzmann dans le cadre de son film Shoah. Elle permet de donner le contexte et sert en quelque sorte d’introduction. La deuxième est le résumé du livre Story of a Secret State écrit par Jan Karski dans lequel il raconte la période qu’il a consacré à la résistance et notamment, ce qui le hantera toute sa vie, la découverte et la visite du ghetto de Varsovie et du camp d’extermination de Bełżec. Dans ces lieux, il verra ce qu’un être humain ne peut concevoir. ...