Le Voyage dans l'Est

J’ai écouté l’interview donné par Christine Angot à la matinale de France Culture pour parler de son dernier livre, La nuit sur commande. Je l’ai trouvée tellement à fleur de peau, tellement écrivaine que j’ai eu envie de la lire – le journaliste Guillaume Erner a même convoqué Duras et Yourcenar. J’avoue que son sujet, l’inceste, m’a toujours tenu à distance de son oeuvre, je n’avais pas vraiment envie de me plonger dans de telles histoires surtout lorsque ce ne sont pas des histoires, mais des faits – quel romancier inventerait une chose pareille. Mais j’avais envie de découvrir l’écrivaine et j’ai choisi Le Voyage dans l’Est. ...

MetaMaus

C’est chouette d’être reconnu. Mais assez dur d’être vu derrière un masque de souris! Le livre me menace, on dirait, comme mon père jadis. Journalistes et étudiants veulent encore des réponses aux mêmes questions. Pourquoi la BD ? Pourquoi les souris ? Pourquoi l’Holocauste ? […] Mais je vais tâcher de répondre de mon mieux. Comme ça, quand on me demandera à l’avenir, je répondrai peut-être juste plus jamais ! Voilà les questions centrales de ce livre adressées sous la forme d’une interview de Art Spiegelman menée par Hillary Chute qui est une universitaire spécialiste de l’oeuvre – le livre parle de lui-même sur ce point. Ce n’est donc pas une bande dessinée, mais un livre d’entretien très complet, précis et documenté consacré au chef-d’oeuvre de la bande dessinée Maus – un livre sur un livre donc un métalivre d’où son titre. Une fois le livre ouvert et les premières pages lues, il devient évident que ce livre est un complément indispensable à la bande dessinée car il permet de prendre encore plus conscience de la richesse de l’oeuvre. Même s’il est réalisé sous la forme d’un long entretien il s’agit vraiment d’un essai consacré à l’oeuvre tant cet ouvrage est riche, précis et éclairant – un entretien de l’auteur qui a lui-même réalisé l’entretien de son père pour écrire son livre. Il explore toutes les sphères dans lesquelles s’inscrit le livre (mémoire, histoire, bande dessinée, art, etc.) qui a demandé à son auteur pas moins de 13 années de travail. J’ai trouvé dans ce livre tellement de choses pertinentes que j’ai abusé des citations dans cet article – ils en parlent mieux que moi. ...

Temps glaciaires

J’aime bien lire un Fred Vargas de temps en temps. J’ai un peu de de retard – le douzième épisode, Sur la dalle, vient de sortir –, j’ai lu L’armée furieuse il y a un an. A plus haute dose ce serait ennuyeux, mais j’avoue que je prends plaisir à retrouver tous les ingrédients qui font que l’on aime – ou que l’on n’aime pas – les romans de Fred Vargas mettant en scène son commissaire Adamsberg: le flou, le brouillard dans lequel évoluent les enquêtes, les dialogues incessants et fleuris, la ménagerie du commissariat avec ces personnages hauts en couleur, un peu d’histoire et toujours un élément mystérieux. On y entre comme dans un lieu connu où l’on retrouve des connaissances que l’on aime bien. ...

Climax

Le mot climax s’emploie souvent au figuré pour désigner l’acmé, le point culminant d’un récit. Mais il désigne également, en science, un état optimal d’équilibre écologique. Ce mot polysémique est le titre parfait pour ce livre qui mêle habillement écologie, mythologie et fantasy. Sur la couverture, le titre du jeu, Dungeons & Dragons, annonçait en lettres grasses et travaillées le programme de leurs dernières après-midi de vacances. Thomas B. Reverdy est particulièrement à l’aise dans ce numéro d’équilibriste et se sort avec les honneurs de ce projet ambitieux qui aurait pu tomber à plat. Les parties les plus romancées insufflent de la vie et une touche d’originalité à cette fable écologique très convaincantes. Les volets scientifiques sont d’une précision chirurgicale sans être ennuyeux, on sent qu’il a vraiment travaillé son sujet. ...

L’hiver du mécontentement

Ce livre qui se déroule durant l’hiver 1978-79, malgré ses près de 45 ans, est plus que jamais d’actualité. C’est la phase IV du plan de lutte contre l’inflation qui a atteint 16% l’année précédente. En 1979, c’est la dame de fer Margaret Thatcher qui a pris en main cette situation catastrophique et a redressé le pays à marche forcée. Now is the winter of our discontent. Durant cet hiver 2022-23 l’Angleterre, en proie aux mêmes maux, aurait pu être sauvée par une autre femme providentielle, Liz Truss, mais elle restera célèbre pour avoir été la première ministre la plus éphémère (50 jours), la dernière à avoir exercé son mandat sous le règne de la reine Elizabeth II et la première sous celui de son successeur Charles III – beaucoup de records. ...

Sérotonine

J’ai attendu bien après sa sortie et donc après l’évènement qui a fait le succès des chaînes d’info en continue – je ne parle pas de la pandémie –, la première saison des gilets jaunes qui est en quelque sorte préfigurée dans ce livre. Enfin pas tout à fait, il s’agit plus exactement de l’effondrement du monde agricole incarnée par le meilleur – et le seul – ami du narrateur Aymeric, un ancien comme lui – et comme l’auteur – de l’Agro. ...

Lire !

Lire ! est un recueil de textes sur la lecture écrit à quatre mains par Bernard Pivot et sa fille Cécile. Cet ouvrage est agrémenté de photos et d’illustrations particulièrement bien choisies. J’aime habituellement ce genre de livres consacrés à la lecture en voici quelques exemples plus ou moins réussis Bouquiner Les vertes lectures Premier bilan après l’apocalypse Dernier inventaire avant liquidation Journal d’un lecteur1 Mais ici on a à faire à une succession de banalités. Sans le nom de Pivot ce livre n’aurait jamais été publié. Les seules parties dignes d’intérêt sont celles qui relatent les anecdotes du temps où Bernard Pivot animait l’émission Apostrophes2. A part ces maigres consolations, tout le reste de son contenu est insipide et la qualité des textes, utilisant des polices de caractères différentes en fonction de son auteur – le classissisme du serif pour Bernard et la modernité du sans serif pour Cécile, quelle originalité –, ne rattrapent pas la platitude des propos – notamment ceux tenus par Cécile Pivot. Il s’agit donc d’un livre objet à laisser trainer sur une table basse. ...

Soumission

“C’est la soumission” dit doucement Rediger. “L’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue.” Quoi que l’on en dise, Michel Houellebecq s’assagit avec le temps – il vieillit peut-être ? Depuis maintenant deux romans, il devient plus consensuel et gomme petit à petit la violence et le sexe – il en reste tout de même un peu rassurez-vous – de ses ouvrages pour les rendre plus cérébraux – voir l’article consacré à son précédent roman, La carte et le territoire. Ceux qui parlent de Soumission comme d’un livre polémique n’ont rien compris. ...

Chuuut !

Une maman vient d’endormir son enfant, mais les animaux ne dorment pas, font du bruit et peuvent à tout moment le réveiller – certains comprendront que ce n’est pas anodin. Alors, elle va les voir un par un pour leur dire de faire moins de bruit. Ce très beau conte en randonnée (présence de répétitions, dans ce cas les invocations à faire moins de bruit) superbement illustré nous vient du bout du monde. En fait, Minfong Ho est une américaine d’origine chinoise dont les écrits se déroulent principalement dans les pays du Sud-Est asiatique. Les dessins sont épurés et les perspectives toujours bien choisies. Les textes sont écrits – et traduits – en rimes, ce qui plaît beaucoup aux enfants. Une très belle découverte qui prouve, une fois de plus, que l’ouverture vers d’autres cultures est toujours enrichissante. ...

En cherchant Majorana

Ettore Majorana était un génie, une étoile filante dans le ciel de la physique du XXe siècle. Son domaine, l’infiniment petit, la physique quantique. A l’âge de 31 ans à peine, il disparaît. Purement et simplement évanoui dans la nature. Qu’est-il devenu ? Une seule chose est sûre, il s’est retiré du monde. C’est à ce moment précis que Majorana devient pour Carelli un chat de Schrödinger, c’est-à-dire la superposition quantique d’un être vivant et du même être mort. ...

Le premier oeuf de Pâques

La petite poule a pondu son premier oeuf. Elle est toute fière et décide de le présenter à la fête aux oeuf. On y élit le plus bel oeuf. Pourtant, tout le monde tente de l’en dissuader. Ils la trouvent certainement naïve, mais se cachent derrière des bon sentiments en faisant mine de la préserver d’une grosse déception. Elle ne baisse pas les bras pour autant – enfin les ailes. Elle court, trotte et vole, se précipite à tel point qu’elle fait tomber son trésor dans la marre aux cochons. Et ce n’est que le début de ses mésaventures. ...

La carte et le territoire

Ce n’est pas mon livre préféré de Houellebecq mais c’est certainement le plus consensuel. Adieu les provocations, le duo des sujets polémiques sexe & religion. Le Goncourt est à ce prix. Même si ça ne fait pas tout, il est quand même dommage de renoncer à voguer à contrecourant de la bien-pensance et à jeter des pavés dans la marre. S’il a clairement renoncé au sexe dans ce roman “La sexualité est une chose fragile, il est difficile d’y entrer, si facile d’en sortir.”, il n’hésite pas à égratigner quand il en a l’occasion, tiens Mitterrand – pourquoi lui ? – prends ça : “Il revoyait les affiches représentant la vieille momie pétainiste sur fond de clochers, de villages.”. Pourquoi la littérature s’interdirait-elle d’aborder certains sujets, pourquoi devrait-elle être hypocrite et ne pas représenter le monde tel qu’il est avec sa variété d’opinions et de discours ? ...

Plateforme

Avec Plateforme, Michel Houellebecq nous emmène en voyage mais à sa façon. Sa façon n’est pas celle d’un récit de voyage et encore moins celle d’un guide du routard – ceux qui le liront sauront pourquoi. Malgré tout, il est principalement question de tourisme dans ce livre. Michel Houellebecq ausculte ou autopsie, par le prisme des voyages, notre société. Il considère que le tourisme est devenu le dernier eldorado, un exutoire permettant de supporter les contraintes du quotidien. Il capte l’esprit du moment et dépeint le monde qui nous entoure de manière hyper réaliste avec un oeil acerbe et une acuité impressionnante. Contrairement à ce que l’on pourrait croire en commençant ce livre, il est beaucoup moins sombre que ses autres romans, sur ce point, il est aux antipodes de Extension du domaine de la lutte. ...