La Famille, itinéraires d'un secret

C’est en lisant La faille de Blandine Rinkel que j’ai croisé pour la première fois le nom de cette étrange communauté, la Famille. Ils parlent de deux mondes qui ne s’interpénètrent pas. Un monde du dehors, qu’ils appellent le Monde, ou la Gentilité, et leur monde à eux, qu’ils nomment la Famille. Intriguée par ces cohortes de cousins aux patronymes récurrents qui apparaissent dans son quartier, à l’école de ses enfants, au détour de conversations avec ses voisins, Suzanne Privat, journaliste scientifique et surtout curieuse, a décidé d’enquêter. Armée de ses beaux carnets et de son compte Instagram, elle se lance dans l’aventure. ...

Les impatients

J’avais déjà tenté de lire Feu de Maria Pourchet, mais je n’avais pas réussi à aller jusqu’au bout car son style, à l’époque, m’avait rebuté. Avec Les impatients, l’expérience a été différente. Le style est toujours très marqué, très moderne, mais cette fois-ci il ne m’a pas dérangé. Il capte l’attention, parfois au détriment de l’histoire, mais il donne au texte une voix originale et une présence singulière. L’une des particularités de ce roman est ce narrateur qui s’adresse directement au lecteur, brisant en permanence le quatrième mur et rendant la lecture interactive. ...

La faille

Quand j’écris famille, allez savoir pourquoi, je mange le m – on lit faille. La faille n’est pas un roman, mais plutôt un recueil de réflexions. Son thème central, la famille et son impact sur l’individu, sert de point de départ à une exploration très personnelle. Le livre aborde de nombreux sujets, ce qui pourrait lui valoir le qualificatif de “fourre-tout”, mais c’est aussi ce qui fait sa richesse. Blandine Rinkel parsème son texte de références culturelles, notamment au cinéma et à la littérature. Certains titres m’étaient familiers, comme Proust, roman familial, les romans d’Édouard Louis ou encore Mars de Fritz Zorn. D’autres, comme l’histoire de la mystérieuse communauté parisienne “Famille” racontée dans La Famille, itinéraires d’un secret a piqué ma curiosité. ...

Krimi

Est-il possible d’apprécier Krimi à sa juste valeur sans connaître le travail du réalisateur Fritz Lang ? Pour être franc pas vraiment – et je parle en connaissance de cause –, mais en se renseignant un minimum on peut mieux appréhender l’ouvrage sans pour autant être en mesure d’en apprécier toutes les subtilités. En latin, infans signifie “qui ne parle pas” M sera un film sonore. En passant du muet au parlant, c’est comme si je passais de l’enfance à l’âge adulte. ...

11 sept. 2025 ·  BD

La plus secrète mémoire des hommes

La plus secrète mémoire des hommes est un roman ambitieux à tel point que j’ai longtemps rechigné à l’ouvrir. Mohamed Mbougar Sarr prend un double risque, adopter un registre soutenu et construire une narration fragmentaire, faite de récits enchâssés. Et pourtant, ça fonctionne. Le roman avance sur une étroite ligne de crête – j’ai parfois eu peur de perdre pied. Le réalisme magique, revisité par l’Afrique, irrigue l’ensemble, en particulier à travers le livre dans le livre, Le labyrinthe de l’inhumain, signé par le mystérieux – et très inquiétant – T.C. Elimane. Ce texte devient une relique, et son auteur un mythe. Le jeune romancier puise aussi dans les racines de la littérature, notamment la tragédie, pour nourrir sa fresque. ...

Les rochers de Poudre d'Or

Dans ce roman, Nathacha Appanah s’intéresse à une époque bien particulière de l’histoire de l’Île Maurice. Alors sous contrôle britannique et suite à l’abolition de l’esclavage (autour de 1835), les anglais ont remplacé les travailleurs agricoles d’origine africaine employés dans la culture de la canne à sucre par des “engagés” originaires de leur colonie indienne. J’ai mis le mot engagé entre guillemets car vous apprendrez en lisant ce livre que, malgré un principe de volontariat encadré par un contrat de travail et rémunéré, leurs conditions de voyage et de travail restent proche de celles des esclaves qui les ont précédé. ...

Herzog

On comprend tout de suite pourquoi des textes de Philip Roth ont été choisis pour présenter le recueil des oeuvres de Saul Bellow dans la collection Quarto. Les premiers romans du cycle de Nathan Zuckerman – je pense par exemple à La leçon d’anatomie – ressemblent beaucoup à ce livre qui a été écrit deux décennies plus tôt. Cette ressemblance n’est pas fortuite, tous les deux sont des auteurs juifs américains de New York (ils font partie du même mouvement) mettant en scène des intellectuels issues du même milieu qu’eux, pour l’un Nathan Zuckerman, pour l’autre Moses Herzog. ...

Personne morale

N’oubliez pas qu’un petit groupe de personne déterminées et conscientes de ce qu’elles font peut changer le monde. David contre Goliath c’est tout de suite ce qui vient à l’esprit, lorsque débute le récit de la petite association Sherpa qui s’attaque au géant du ciment Lafarge – comme on l’apprendra au cours de la lecture, il faut désormais parler du groupe Holcim. Ce qui est encore plus cocasse – si j’ose dire – c’est que ce combat juridique oppose un groupe de femmes à des hommes, on serait tenté de continuer et de dire le nouveau contre l’ancien monde mais je vais m’arrêter là. Venons-en aux faits. ...

Aux cinq rues, Lima

Après Le héros discret, j’ai poursuivi ma découverte par un autre livre récent de Mario Vargas Llosa. Aux cinq rues, Lima à un côté plus politique car l’auteur met en scène celui qui fut son opposant lors de l’élection présidentielle de 1990, Alberto Fujimori. Le fil rouge est une affaire de journalisme trash agrémentée par des histoires de couples plus légères et croustillantes – Mario était un coquin. La prose de l’auteur péruvien est toujours aussi limpide, son écriture plutôt classique au premier abord se modernise vers la fin du roman pour entremêler des dialogues provenant de différents contextes. Ce n’est pas un grand livre, mais une lecture plaisante entre thriller et comédie de moeurs. Un roman parfait pour les vacances écrit par un prix Nobel publié dans la Pléiade – de son vivant –, ça ne se refuse pas. ...

Dans la prison

Dans la prison est une tranche de vie. Un peu comme dans le Journal d’une disparition, il n’y a pas vraiment d’histoire, mais plutôt un récit du quotidien comme seuls savent les écrire les japonais. C’est celui des années passées par l’auteur, Kazuichi Hanawa, au sein d’une prison japonaises dans les années 90. On découvre une vie extrêmement règlementée et codifiée – les japonais ont la réputation d’être respectueux des règles et ordonnés, alors imaginez ce que ça peut donner dans une prison – où la discipline est observée de façon exemplaire. Dans ce contexte monacal dépourvu de distraction, les repas occupent une place prépondérante et l’auteur s’est donné pour objectif de les répertorier. ...

23 juin 2025 ·  BD

Pucelle

Florence Dupré la Tour raconte son enfance au sein d’une famille catholique bourgeoise. Le récit se polarise rapidement sur l’opposition homme / femme. La domination exercée par les hommes au sein de la société est incarnée par la figure de son père qui est l’archétype du mâle blanc riche qui n’a aucune interaction avec ses enfants et ne se préoccupe de la vie de la famille que pour partir en vacances. Puis la position de la femme soumise qui consacre tout son temps à sa famille. Et enfin celle des petites filles, l’autrice et sa soeur jumelle, qui sont laissée dans l’ignorance de la sexualité et semblent être uniquement destinées à se marier et à procréer à leur tour dans un cycle sans fin. ...

6 juin 2025 ·  BD

Giovanni Falcone

Roberto Saviano revient sur son sujet de prédilection, la Mafia, avec un livre monstre qui tourne autour de la figure emblématique du juge Giovanni Falcone. Au delà du juge, le livre décrit le combat dantesque de la justice contre la Mafia qui a donné lieu au maxi-procès de Palerme lors duquel ont été jugés près de 500 accusés. L’auteur a délaissé la forme journalistique de Gomorra pour celle du roman vrai ou roman non fictionnel qui permet de raconter des évènements à hauteur d’homme. Et les hommes qui ont servi la justice pour lutter contre le crime organisé on fait preuve d’un courage et d’une abnégation hors du commun. Ces hommes se savaient condamnés à force de voir la mort frapper autour d’eux. Et bientôt les bombes ont remplacé les rafales de Kalashnikov. ...

Les hommes manquent de courage

C’est ma mère qui avait insisté pour m’appeler Jessie. Elle ne s’était pas dit que ça ferait américaine, ou esthéticienne, ou candidate de télé-réalité. Elle trouvait ça joli. Je suis professeure de mathématiques. Mathieu Palain nous raconte l’histoire – a priori vraie – de Jessie – son nom a été modifié pour ne pas qu’on la reconnaisse. On sent bien que l’histoire est romancée et il est d’ailleurs écrit “roman” sur la couverture, mais à la fois, comme il le dit lui-même, elle ne peut qu’être vraie – sinon elle serait invraisemblable. ...

Triste tigre

Difficile de parler de ce livre. Neige Sinno raconte les viols répétés quel a subi dans son enfance pendant des années. Son bourreau vivait sous le même toit, il pouvait sévir à tout moment, c’était son beau-père. Même moi, qui ai vu cela de très près, du plus près qu’on puisse le voir et qui me suis interrogée pendant des années sur le sujet, je ne comprends toujours pas. Elle raconte dans le détail, c’est assez difficile à lire, souvent très cru, mais nécessaire pour se rendre compte de l’horreur. Malgré la condamnation on sent encore énormément de colère, elle le dit, il aurait dû se suicider, la prison qui permet de s’acquitter d’une dette n’est pas adaptée, ce type de dette ne se rembourse pas. En plus de tout ce qu’elle a subi dans sa chair, la souffrance psychologique vécue par la petite fille qui ne parle pas de peur de faire exploser sa famille est affreuse. Dans le cas de son beau-père, la volonté de domination et de soumission est au moins aussi présente que la perversité sexuelle – peut-être est-ce souvent le cas ? Elle parle de sa mère, mais pas autant que je m’y attendais, car la mère est dans une position très délicate. C’était l’autre adulte de la famille, celle qui avait choisi d’aller, avec ses enfants, vivre avec cet homme. ...

Idéal

Les intelligences artificielles humanoïdes – les androïdes pour le dire simplement – sont partout sauf sur une petite île du Japon où vit un couple. Le temps ne semble pas avoir eu de prise sur ce refuge, mais il en a eu sur le couple qui y vit. Les années ont passé et l’amour s’est fané. Voilà comment se forment les perles. Elles sont des blessures enveloppées de douceur et de beauté et il en est de même, pour certaines oeuvres. ...

13 avr. 2025 ·  BD

Qui a tué mon père

Pendant toute mon enfance j’ai espéré ton absence. Après le fils, Edouard Louis, dans En finir avec Eddy Bellegueule, le frère dans L’effondrement, la mère dans Combats et métamorphoses d’une femme et Monique s’évade, je demande le père. Le livre est très court et ressemble à une longue lettre que l’auteur adresse à son père suivie d’une sorte de pamphlet politique – il me semble que c’est la première fois qu’il s’aventure sur ce terrain. Cette dernière partie est assez faible et vient conclure son analyse sans appel – d’ailleurs le titre ne comporte pas de points d’interrogation. C’est la fatalité qui a tué son père, une prédétermination, via sa classe sociale, à vivre cette vie et à mourir de cette façon. ...

Toronto

Je suis redevable aux éditions P.O.L de m’avoir donné l’opportunité de rattraper, de façon tout à fait honorable, des années de lacunes sur les frasques de Johnny Depp et Amber Heard, fâcheuses conséquences d’un manque d’assiduité évident dans lecture de la presse people. Ils remâchaient ad nauseam une dispute qu’ils avaient eue à Toronto, parlaient de gens dont je ne savais rien. Le livre ressemble à un épais dossier assez fouillis, il contient des retranscriptions de conversations, des SMS, des déclarations, des comptes rendus de procès, des interviews. Je laisse la parole à Élisabeth Benoit qui en parle bien mieux que moi – j’ai du tronquer la phrase qui doit à peine tenir sur une page. ...

Arcadie

J’ai été tellement séduit par l’écriture de La Treizième Heure, tellement étonné par une telle originalité que j’ai décidé de lire cet autre roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Je savais où je mettais les pieds et je n’ai donc pas été surpris de retrouver de nombreuses similitudes. Pour être honnête, je l’ai quand même été car la ressemblance est grande. Les romans se déroulent au sein de ce qu’il convient d’appeler une secte qui rassemble disons des non-conformistes – c’est un doux euphémisme – dirigée par un homme – un gourou, appelons les choses par leur nom. Au sein de cette communauté l’un des personnages principaux prénommé(e) Farah a la particularité d’être intersexué(e), c’est-à-dire qu’elle ou il se trouve à la frontière entre homme et femme, en quête d’identité. Les similitudes s’arrêtent là et les histoires sont tout de même bien différentes. ...

Combats et métamorphoses d'une femme

J’ai commis l’erreur de lire d’abord Monique s’évade dont les évènements se déroulent chronologiquement après ceux de ce livre. Dans ce premier tome des évasions de Monique, la mère d’Edouard Louis, son fils nous raconte – et parle aussi à sa mère – des bribes de sa vie difficile d’avant – la partie combat –, la façon dont elle est enfin parvenue à s’émanciper d’un mari alcoolique et toxique – combat toujours – et enfin son épanouissement et sa transformation – la partie métamorphose – dans sa nouvelle vie. ...

Le cas David Zimmerman

Lucas Harari s’est associé avec son frère Arthur pour réaliser sa troisième bande dessinée. L’histoire repose sur le concept de métempsycose, c’est-à-dire le passage d’une âme dans un autre corps. Cette transposition est évidemment un ressort scénaristique, le changement de vie, d’identité et de genre. L’histoire puise des références dans le judaïsme, la première planche figure une menorah, une chanson de Léonard Cohen sert de bande son, Zimmerman est le nom que porte Bob Dylan à l’état civil et le physique de David, le personnage principal, n’est pas sans rappeler celui de Franz Kafka. ...

25 févr. 2025 ·  BD