Courir

Faire marcher la machine, l’améliorer sans cesse et lui extorquer des résultats, il n’y a que ça qui compte et sans doute est-ce pour ça que, franchement, il n’est pas beau à voir. C’est qu’il se fout de tout le reste. Cette machine est un moteur exceptionnel sur lequel on aurait négligé de monter une carrosserie. Son style n’a pas atteint ni n’atteindra peut-être jamais la perfection, mais Émile sait qu’il n’a pas le temps de s’en occuper : ce seraient trop d’heures perdues au détriment de son endurance et de l’accroissement de ses forces. Donc même si ce n’est pas très joli, il se contente de courir comme ça lui convient le mieux, comme ça le fatigue le moins, c’est tout. […] Je courrai dans un style parfait quand on jugera de la beauté d’une course sur un barème, comme en patinage artistique. Mais moi, pour le moment, il faut juste que j’aille le plus vite possible. ...

Ce qu’il advint du sauvage blanc

Ancien élève de l’ENA, il a occupé plusieurs postes dans l’administration en tant que haut fonctionnaire – il travailla notamment pour la Nouvelle-Calédonie – avant de se consacrer à l’écriture et de rencontrer le succès avec son premier roman Ce qu’il advint du sauvage blanc. Cette reconnaissance est méritée tant le livre est bien réalisé. Il est construit sur deux plans temporels exploités dans un ordre chronologique. Dans le premier on suit les aventures du matelot Narcisse Pelletier depuis son abandon sur une île proche de l’Australie par le bateau sur lequel il officiait. Dans le second on s’intéresse, des années plus tard (18 ans), à la découverte d’un homme blanc entièrement tatoué vivant parmi ceux que l’on appelait alors les “sauvages”, c’est-à-dire les aborigènes d’Australie. Celui-ci incapable de parler sera baptisé “le sauvage blanc”. L’un raconte comment quitter la civilisation, l’autre comment y retourner. ...

L’Hiver du dessinateur

Dès l’ouverture du colis, la découverte du livre a été une bonne surprise. Tout commençait donc très bien. Le format souple d’une taille plus petite que la moyenne se révèle très satisfaisant et très agréable à manipuler. La couverture est magnifique. Il faut observer la profondeur de l’image, le cadrage, les détails, le mouvement des personnages au premier plan et enfin les couleurs. Elle donne le ton car le reste de l’album est à l’avenant, magnifique. Les dessins ligne claire sont très réussis et la mise en couleur ne l’est pas moins. Les jeux d’ombres et de lumières mettent en valeur l’ambiance du Barcelone du milieu du siècle dernier, celle de la Rambla et des bar à tapas - même si l’action se déroule en grande partie à l’intérieur des logements ou dans des bureaux. Et pour cause, puisqu’il s’agit d’une histoire de gratte-papiers et plus précisément de dessinateurs de bandes dessinées. Cinq des plus talentueux de leur époque ont décidé de conquérir leur indépendance en lançant leur propre magazine de bandes dessinées alors que la maison d’édition Bruguera règne sans partage sur ce milieu en Espagne. ...

10 janv. 2013 ·  BD

L'absent

“Comment un homme qui a gouverné l’Europe peut-il se retrouver sur un îlot avec les pouvoirs d’un sous-préfet ?” La question posée par Patrick Rambaud dans l’auto-entretien figurant à la fin du livre le résume à elle seule. Le contraste est tellement fort entre l’Empire, la Grande Armée et cette île minuscule où vit une poignée d’habitants qu’il en devient un ressort comique: Le comte Bertrand indiqua de l’ongle un point perdu en mer à côté de la Corse. – On dirait un puceron. – C’est pourtant l’île d’Elbe. – Une île, ça ? Un rocher, oui. ...

Il neigeait

Le titre Il neigeait vient de l’anaphore (figure de style – remise au goût du jour par François Hollande lors du débat de l’entre-deux-tours des élections présidentielles 2012 “Moi président de la République, […]” – qui consiste à répéter un même segment en tête d’un vers ou d’une phrase afin d’obtenir un effet de symétrie ou d’insistance) utilisée par Victor Hugo dans un poème du recueil Les Châtiments intitulé l’Expiation : ...

La bataille

C’est à Balzac que nous devons l’idée de ce livre : Pas une tête de femme, des canons, des chevaux, deux armées, des uniformes ; à la première page le canon gronde, il se tait à la dernière ; vous lirez à travers la fumée, et, le livre fermé, vous devez avoir tout vu intuitivement et vous rappeler la bataille comme si vous y aviez assisté. Il en parlait lui-même en ces termes dans une lettre adressée à Madame Hanska. Intrigué qu’il n’ait pas mené ce projet à bien, Patrick Rambaud a repris le flambeau, relevé le défis. Et de quelle façon, ce livre est génial ! En seulement trois cent pages il nous transporte sur le champ de bataille aux côtés de Napoléon. Mais pas seulement, le lecteur va discuter avec les maréchaux, combattre auprès des cuirassiers et des voltigeurs et même vivre le combat de l’extérieur grâce à un spectateur de marque, Marie-Henri Beyle plus connu sous son nom de plume Stendhal. On a l’impression de se déplacer pour tour à tour se retrouver au front en plein coeur de la bataille où les hommes se livrent une lutte enragée puis à l’arrière sous la tente impériale où la tension est palpable lorsqu’il faut avaler les mauvaises nouvelles, définir la stratégie et ordonner. ...

La solitude du docteur March

Geraldine Brooks a décidé de réutiliser l’univers du roman de Louisa May Alcott, Les Quatre Filles du docteur March. Pour cela, elle a choisi de centrer son histoire, non pas sur les filles, qui vivent seules avec leur mère, mais sur le père de famille le fameux docteur March. Elle souhaite nous raconter ce qui se passe de l’autre côté du roman originel, ce que vit ce père absent. Le roman est construit sur plusieurs plans temporels. Le plan principal raconte la participation de March à la guerre de sécession en tant qu’aumônier militaire. Les évènements qu’il vit sont l’occasion pour lui de revenir sur son passé. ...

De Gaulle à la plage

Qu’a fait le Général de Gaulle après avoir sauvé la nation ? C’est l’épineuse question que s’est posé Jean-Yves Ferri. Il nous propose donc sa vision des choses en croquant habilement un de Gaulle en short et en tong goûtant à un repos bien mérité sur les plages de Normandie. Pour notre plus grand bonheur, il n’est pas tout seul mais accompagné de son fidèle adjoint Lebornec, de sa femme, de son fils et de son chien Wehrmach. Ce nom vous rappelle indéniablement quelque chose … Si je vous dis qu’il désigne le rejeton du chien-loup de Hitler, vous ne doutez plus désormais que l’on est dans le registre humoristique. ...

14 mars 2008 ·  BD

Le complot

Le pape de la BD outre atlantique a décidé de mettre son art au service de la bonne cause. Son but est de dénoncer l’odieux complot visant à attiser la haine envers le peuple Juif. Ce complot est basé sur la rédaction et la publication d’un document antisémite: Les Protocoles des Sages de Sion. Will Eisner nous raconte l’histoire de la création de ce document et s’interroge sur la façon dont ce pamphlet, si grossièrement fabriqué, a pu trouver et trouve encore aujourd’hui une audience auprès des plus crédules. C’est aussi une réflexion sur le terrible pouvoir des mots et de la propagande ravivé aujourd’hui par l’avènement d’Internet. Il est étonnant de voir que, malgré le fait que la supercherie ait été découverte et révélée par un journal de référence comme le Times dès les années 20, ce document ait été utilisé si souvent comme un terreau alimentant les haines raciales. La propagande anti juive d’Hitler y a plongé ces racines et il est encore utilisé et cité aujourd’hui comme référence par certains extrémistes. ...

14 févr. 2008 ·  BD

La part de l'autre

Comment imaginer que même le pire tyran aurait pu être un autre ? Emettre l’hypothèse que l’Homme n’est pas intrinsèquement mauvais, que c’est la vie qui le transforme. C’est le pari risqué que tente ici Eric-Emmanuel Schmitt en s’attaquant au chef de file des nazis. Pour démontrer sa thèse, il utilise un genre particulier d’uchronie. Dans ce roman, la séparation entre les deux Histoires a lieu au cours du récit. Afin de mettre en perspective les deux univers résultants – la réalité historique et la fiction –, l’auteur nous propose de suivre en parallèle le parcours d’Adolphe et d’Hitler. De ce fait, tout en revivant les horribles évènements de l’Histoire aux côtés d’Hitler, nous observons les choix de son double fictionnel Adolphe. ...

La chambre des officiers

En 1914, Adrien Fournier, jeune ingénieur provincial installé depuis peu à Paris, est mobilisé et part à la guerre. Il en reviendra trop vite, atrocement mutilé, défiguré, sans même avoir combattu. Son quotidien sera désormais celui d’un homme brisé, cloîtré dans une chambre sans miroir réservée à ceux que l’on nomme “les gueules cassées”. Dans cette chambre des officiers, auprès de ses compagnons d’infortune, il lui faudra entamer un long chemin de croix vers la guérison fait de souffrances physiques et surtout morales. Le reflet de soi dans les yeux des autres peut être bien pire que celui renvoyé par un miroir. ...

Les arpenteurs du monde

Ce livre relate la vie de deux grands savants allemands aux spécialités et profils bien différents. Le premier est le célèbre mathématicien Carl Friedrich Gauss. C’est un véritable génie précoce qui est tellement en avance sur son temps qu’il s’en rend lui-même compte. Il ne n’a de cesse de se lamenter en se demandant pourquoi il doit endurer le sort si cruel d’être né et de devoir vivre dans un monde si arriéré. Il pense plus vite que tout le monde et c’est principalement pour cette raison que les autres l’ennuient au point de presque tous les mépriser. Plus encore que les gens, il abhorre les voyages et ne quitte que bien malgré lui son domicile. ...

La véritable histoire du dernier roi socialiste

Malgré ce que laisse entendre son titre, ce livre appartient à un genre très particulier de la science-fiction: l’uchronie. Ce thème littéraire consiste à créer un point de divergence dans l’Histoire donnant ainsi naissance à une Histoire alternative, différente de celle que l’on est censé avoir apprise à l’école. Cette parfaite illustration de l’effet papillon est intéressante à plus d’un titre: Elle compte souvent, parmi ses protagonistes, des personnages historiques. On retrouvera par exemple Churchill et bien d’autres dans ce roman. Elle nous donne à réfléchir à l’importance des détails, à nous faire prendre conscience que le destin du monde aurait pu être différent. Arrêtons là les digressions et revenons à ce roman qui invente un autre dénouement aux révolutions de 1848 plus connues sous le nom de Printemps des peuples. Roy Lewis imagine qu’elles ont engendré un monde socialiste – ou communiste – se trouvant donc aux antipodes de notre monde hyper capitaliste dirigé par la Bourse. L’auteur nous invite à nous interroger sur la viabilité d’une telle organisation et nous donne l’occasion de remettre en cause un schéma que nous pensions incontournable. L’auteur du désormais célèbre Pourquoi j’ai mangé mon père1, d’origine anglaise, nous relate les faits avec sa vision d’outre-manche. Pour ceux d’entre nous qui ne connaissent pas bien l’histoire de ce pays – c’est mon cas –, cette position aura l’inconvénient de minimiser l’impact du récit et de perdre quelque peu le néophyte. Néanmoins, c’est un mal pour un bien car les plus motivés se documenteront sur Churchill : ...

Le Maître d'escrime

Ce roman de cape et d’épée se déroule en Espagne à la fin de 19ème siècle. Le pays est alors en pleine mutation, l’art intemporel de l’escrime ne sera bientôt plus qu’un vestige du temps passé. Il n’est plus utilisé lors des duels car on lui préfère de vulgaires armes à feux et, désormais pratiqué par des femmes, on va même jusqu’à l’assimiler à un sport. Le vieux maître d’escrime, personnage principal de ce récit, se résout, malgré lui, à vivre avec son temps et accepte d’enseigner sont art à une jeune et belle élève. C’est alors, vous l’aurez compris, que les ennuies commencent car d’autres changements, plus profonds, vont secouer l’Espagne et marquer à jamais la vie de cet homme. ...