Libres d’obéir

L’oxymore qui compose le titre du livre est génial Libres d’obéir. Tout est dit et la contradiction véhiculée par cette association de deux mots antagonistes est vertigineuse. Ce livre a fait beaucoup de buzz lors de sa sortie car les journalistes ont repris en faisant – comme souvent – un raccourci un peu rapide le sous-titre, Le management, du nazisme à aujourd’hui qui pourrait être qualifié de racoleur si on ne connaissait pas le sérieux de l’auteur. Johann Chapoutot est un historien professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne Université et spécialiste du nazisme. Il a publié plusieurs livres sur ce sujet dont le plus connu est certainement La Loi du sang. ...

Murena T1-4

La série Murena est devenue au fil des années un classique de la bande dessinée. Lorsque je l’ai emprunté à la bibliothèque, j’y allais un peu à reculons justement pour cette raison. Je préfère souvent l’originalité. J’ai donc été surpris d’être autant conquis par l’histoire. Il faut dire que de ce côté là, il y a de la matière puisque la série est consacrée à l’Empire romain. Plus précisément au règne de l’un des empereur qui a le plus marqué cette période, Néron. Le premier tome relate la fin de l’Empereur Claude et les évènements qui vont mener au couronnement de Néron. ...

2 févr. 2020 ·  BD

L’aménagement du territoire

Depuis La théorie de l’information je suis admiratif du travail d’Aurélien Bellanger. J’avais été séduit par sa façon de rendre la technique passionnante et à tout dire romanesque. Il faut dire qu’il est doué, méticuleux, précis – j’avais, à l’époque de son premier livre, pu constater dans un domaine que je connais bien qu’il ne commettait pas d’erreurs techniques –, bref il fait très bien son boulot et avec cette approche sort du lot des jeunes écrivains français. Il parvient à rendre passionnant ce qui pourrait paraître ennuyeux, froid, plat et dénué d’intérêt. Il faut dire qu’il a bon goût et peut-être aussi une bonne source d’inspiration puisqu’il a consacré son premier live à Michel Houellebecq. ...

Sorbonne plage

[…] Paul Tibbets ayant changé de front mais pas d’activité, fut le commandant du bombardier qui anéantit la ville d’Hiroshima le 6 aout 1945. Il est celui qui a largué la première bombe atomique, tuant instantanément 80 000 personnes. Jamais, ni avant ni après, autant d’êtres humains n’ont été liquidés en si peu de temps, c’est-à-dire en une fraction de seconde: la durée d’un grand flash blanc comme surgi d’un monstrueux appareil photo. ...

Rebel Code

Si vous cherchez un livre sur l’histoire de Linux et plus généralement sur celle du mouvement open source, vous l’avez trouvé. Glyn Moody nous propose une longue page d’histoire qui part des origines aux années 2000. Tout ou presque est abordé dans ce livre: la technologie, les hommes, la philosophie et l’économie. On verra comment le travail d’un étudiant a fini par être adopté par l’ensemble des fabricants de machines professionnelles et fait aujourd’hui tourner Internet et tous les vendeurs de cloud – même Microsoft vient de sortir son propre Linux (Azure Sphere), c’est dire ! Cette véritable prouesse n’a été rendue possible que par un subtil équilibre entre des bénévoles, des militants et des entreprises. Les bénévoles sont la cheville ouvrière, ils ont toujours contribué avec enthousiasme. Les militants, dont la figure de proue est Richard Stallman, peuvent être considérés comme les gardiens du temple du monde libre. Enfin, les entreprises sont les émanations des intérêts économiques, elles ont irrigué cet écosystème avec de l’argent, mais elles ont aussi contribué d’une autre manière. Elles ont donné la caution, les garanties professionnelles nécessaires à l’adoption de ces logiciels à grande échelle au sein des entreprises. Je pense en particulier à Red Hat, mais aussi à IBM qui a fait le choix courageux d’abandonner certaines lignes de produits comme les serveurs web au profit de leur équivalent open source. En faisant ce choix ils ont envoyé un message fort, mais ont aussi très concrètement contribué à leur développement en investissant des moyens humains importants dans leur développement. Cette politique a donné le jour à un logiciel comme Apache – et à la fondation qui porte son nom – qui est devenu la référence dans le domaine. ...

Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas

Comme l’indique le sous-titre, il s’agit d’un livre de souvenirs. Ceux d’un historien spécialiste de la Rome antique devenu professeur au Collège de France. Très classiquement il raconte son enfance, ses études, s’attarde sur son passage à l’école normale supérieure. A cette époque le communisme n’était pas encore mort – on ne connaissait pas ou on ne voulait pas croire à Staline et ses goulags – et Paul Veyne revient sans ambages sur son passé de communiste. A l’en croire – et il n’y a pas de raison de ne pas le croire puisqu’il fait preuve tout au long du livre d’une extrême franchise – il a adhéré au parti plus pour être dans l’air du temps que par conviction. Il est très lucide et n’hésite pas à être critique envers lui-même. Il est toujours honnête, il ne cache pas les zones d’ombres comme le comportement de son père pendant la guerre. Il est sensible au regard que portent les autres sur lui – peut-être est-ce à cause de sa malformation congénitale à la joue dite Leontiasis ossea – et sait qu’il est toujours passé pour être un original. Il évoque ensuite ses débuts peu convaincants en tant qu’archéologue et sa carrière de professeur. Il est une fois de plus très franc en insistant sur sa fâcheuse tendance à procrastiner quand il s’est agi de rédiger sa thèse et sur son ingratitude vis à vis de ses maîtres. Il ne nourrit pas vraiment de regrets, il sait que c’est comme ça et qu’il ne pouvait pas en être autrement. Enfin ce qui fut pour lui la véritable consécration, sa nomination au Collège de France. ...

Némésis

Némésis est le dernier roman du cycle éponyme et le dernier roman de Philip Roth avant qu’il raccroche définitivement pour attendre le Nobel et son entrée dans la Pléiade – ça, c’est fait. Ce roman n’a rien à voir avec ceux du cycle Nathan Zuckerman qui est certainement le plus connu. Autant je trouve que les romans mettant en scène Nathan Zuckerman sont denses et complexes – tout simplement difficiles à lire pour dire les choses – autant je trouve que ce livre et d’autres comme Le Complot contre l’Amérique sont l’exact opposé, simples et accessibles. Il est curieux de trouver une telle différence chez un auteur, d’autres sont plus homogènes – Auster ou Modiano par exemple. Cette simplicité n’enlève rien à la qualité de ce roman, il est très réussi – on s’en doute, il ne pouvait pas partir sur un échec quand même. ...

L’ordre du jour

Ce livre nous raconte le moment où les nazis se trouvant sur le seuil des Enfers ont poussé la porte et l’ont franchie. Il s’intéresse à une période temporelle très courte en comparaison du vaste carnage qui va suivre. Lorsque les nazis ont préparé et réalisé l’annexion de l’Autriche, opération connue sous le non d’Anschluss, début d’un long processus destructeur qui mènera à l’horreur que nous connaissons. Au sein de cet espace-temps, Éric Vuillard met en lumière deux choses. La première, celle par laquelle débute ce livre avec la montée solennelle des 24 chefs d’entreprise le long du grand escalier est la contribution de l’économie allemande à l’effort de guerre. Ça c’est la version consensuelle. L’auteur préfère montrer comment ces capitaines d’industrie ont accepté sans broncher de mettre la main au portefeuille pour financer les projets des nazis et comment ils ont été payés en retour à grand renfort de main d’oeuvre gratuite et corvéable à merci puisque prise directement dans les camps. Dans ces conditions, elle ne durait pas longtemps, mais qu’importe, les nazis étaient là pour réapprovisionner. ...

Les déserteurs

Syrie, 303 après Jésus-Christ. Nous suivons avec une vision panoramique le parcours de trois brigands dans ce monde en pleine mutation. C’est le début de la fin de l’Empire romain – à cette époque il est gouverné par quatre empereurs – et le christianisme est en train de remporter la bataille des religions. Bref, le monde est le théâtre de changements majeurs qui se traduisent de façon pratique, sur le terrain, par une grande agitation que nos trois compères vont subir de plein fouet. Ils pourraient aussi en tirer partie, par moment. ...

3 juin 2017 ·  BD

Dreaming in Code

C’est le récit d’une aventure, celle de la création d’un logiciel Open Source, le plus génial de tous les temps. Un agenda révolutionnaire qui pourrait tout faire, qui serait l’outil ultime de toute personne bien organisée. Les utilisateurs pourraient partager leurs calendriers, les synchroniser sur différentes machines et tout cela sans serveur, l’indépendance et la flexibilité totale. Et ce n’est pas tout, il permettrait de gérer les e-mails, de les transformer en autre chose (des notes ou des rendez-vous), du polymorphisme à l’état pur. Il serait extensible en permettant d’ajouter des fonctionnalités sous la forme de plugins pour gérer d’autres choses comme des collections par exemple – pourquoi pas en effet. De cette façon, il pourrait répondre aux besoins des utilisateurs privés (calendrier personnel), public (les universités) et professionnels – où il supplanterait allègrement Outlook. Oups, j’oubliais un détail, il devrait fonctionner sur toutes les plate-formes de Windows aux Unix sans oublier Mac OS – et encore les plate-formes mobiles n’existaient pas sinon elles auraient été dans la cible. ...

14

D’habitude je ne cite pas les quatrièmes de couverture, mais là je ne peux pas résister. Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d’entre eux. Reste à savoir s’ils vont revenir. Quand. Et dans quel état. Jean Echenoz va bien aux éditions de Minuit et vice-versa. Ainsi le contenant ressemble au contenu: sobre, épuré et élégant. Si vous voulez vous convaincre du lien qui existe entre l’écrivain et cette maison, lisez Jérôme, l’hommage qu’il a rendu à Jérôme Lindon qui en fut l’emblématique directeur. ...

Ulysse

Lorsque j’ai aperçu cette BD sur la table du libraire, j’ai tout de suite su qu’elle allait me plaire. Tout d’abord pour une raison complètement subjective qui est que j’adore les gros volumes reliés et qu’il faut bien reconnaître qu’Actes Sud a fait là du très beau travail. Ensuite je porte depuis toujours un grand intérêt à la Grèce antique. Enfin, j’apprécie tout particulièrement ce type de dessin simples et travaillés à l’aquarelle. ...

31 janv. 2016 ·  BD  ♥

Belladone T1-3

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu envie d’exhumer Belladone de ma bibliothèque – lors de ma première lecture, je n’avais pas lu tous les tomes de ce premier cycle. Belladone est ce que l’on appelle une histoire de cape et d’épée qui se passe à l’époque de Louis XIV et de ses mousquetaires – ce n’est pas vraiment mon genre favori. Comme dans beaucoup de BD, le personnage principal est une femme – c’est une tendance que j’ai constaté depuis quelques années. Elle me fait penser à Sophie Marceau dans La fille de d’Artagnan – évidemment, il est rare qu’une héroïne soit moche – sauf qu’elle est aussi habile qu’un Ninja. Quant au choix de son nom, Wikipedia nous donne une indication intéressante que l’on pourrait résumer en “beauté mortelle”. ...

13 déc. 2015 ·  BD

Paco Les Mains Rouges

Découvrir le nom de Vehlmann imprimé sur une couverture cartonnée m’évoque immédiatement de formidables souvenirs de lecture : Le Marquis d’Anaon, Les derniers jours d’un immortel ou encore Des lendemains sans nuage. Ne nous y trompons pas, Fabien Vehlmann est scénariste et, en découvrant la liste ci-dessus, qui n’est qu’une infime partie de son oeuvre, on prend conscience de son éclectisme. Il le prouve encore une fois ici puisqu’il est question du bagne en Guyane. ...

8 oct. 2015 ·  BD

Des éclairs

Je clos avec Des éclairs ma lecture de la trilogie des Vies imaginaires. Il est donc l’heure de faire un bilan et de considérer l’oeuvre dans son ensemble. Jean Echenoz a voulu évoquer le destin de trois hommes qui ont marqué leur époque dans trois domaines distincts: l’art (la musique avec Maurice Ravel), le sport (la course à pied avec Emil Zátopek) et la science (la physique avec Nikola Tesla). Pour quelle raison a-t-il fait ce choix là ? Peut-être a-t-il souhaité mettre en avant le contraste entre leur réussite dans la sphère professionnelle et l’échec – ou le relatif échec – de leur vie privée. Il semblerait que les trois personnages soient si spécialisés dans leur domaine de compétences qu’ils soient complètement inadaptés à la vie. On ne peut pas tout faire. ...

Une histoire du monde sans sortir de chez moi

Je ne suis pas un grand fan des voyages alors en découvrant le titre de ce livre, je me suis dit voilà un livre pour moi, c’est exactement ce que je veux faire ! Il va aller directement rejoindre ma collection de livres de pantouflard Intérieur de Thomas Clerc, Voyage autour de ma chambre1 de Xavier De Maistre. En m’habillant, je me suis demandé pourquoi toutes mes vestes de costume avaient une rangée de boutons inutiles sur chaque manche. […] Bref, à mes yeux la maison était soudain devenue un lieu plein de mystère. C’est ainsi que l’idée m’est venue d’y faire un voyage, de m’y promener de pièce en pièce et d’étudier le rôle que chacune a joué dans l’évolution de la vie domestique. ...

Le Royaume

J’écoutais Florent Georgesco parler de ce livre à la radio. Il a dit une chose très vraie sur Emmanuel Carrère. Il sait trouver le ton juste pour écrire. Tout s’enchaîne, ce n’est ni trop ni pas assez, on dirait qu’il nous parle. Le journaliste du Monde disait qu’il avait l’impression d’être assis en face de lui dans sa cuisine et de simplement l’écouter parler – il a reçu le prix littéraire du Monde, ce n’est certainement pas un hasard. Et il a raison, on pourrait l’écouter pendant des heures. Ce type a un tel talent qu’il rendrait l’histoire du chemin de fer en France intéressante – que les fans me pardonnent. Imaginez alors un instant ce qu’il peut faire avec un sujet comme le Christianisme. ...

Aurais-je été résistant ou bourreau ?

Aurais-je été résistant ou bourreau ? C’est une question que tout le monde devrait se poser et pour laquelle personne ne devrait avoir de réponse évidente. Pierre Bayard tente d’y répondre en employant un procédé original. Il se met lui-même dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale en opérant une sorte de voyage dans le temps. Il se retrouve donc en 1940 étudiant en hypokhâgne, khâgne et entre à l’École normale après avoir réussi son concours d’entrée. ...

Courir

Faire marcher la machine, l’améliorer sans cesse et lui extorquer des résultats, il n’y a que ça qui compte et sans doute est-ce pour ça que, franchement, il n’est pas beau à voir. C’est qu’il se fout de tout le reste. Cette machine est un moteur exceptionnel sur lequel on aurait négligé de monter une carrosserie. Son style n’a pas atteint ni n’atteindra peut-être jamais la perfection, mais Émile sait qu’il n’a pas le temps de s’en occuper : ce seraient trop d’heures perdues au détriment de son endurance et de l’accroissement de ses forces. Donc même si ce n’est pas très joli, il se contente de courir comme ça lui convient le mieux, comme ça le fatigue le moins, c’est tout. […] Je courrai dans un style parfait quand on jugera de la beauté d’une course sur un barème, comme en patinage artistique. Mais moi, pour le moment, il faut juste que j’aille le plus vite possible. ...

Ce qu’il advint du sauvage blanc

Ancien élève de l’ENA, il a occupé plusieurs postes dans l’administration en tant que haut fonctionnaire – il travailla notamment pour la Nouvelle-Calédonie – avant de se consacrer à l’écriture et de rencontrer le succès avec son premier roman Ce qu’il advint du sauvage blanc. Cette reconnaissance est méritée tant le livre est bien réalisé. Il est construit sur deux plans temporels exploités dans un ordre chronologique. Dans le premier on suit les aventures du matelot Narcisse Pelletier depuis son abandon sur une île proche de l’Australie par le bateau sur lequel il officiait. Dans le second on s’intéresse, des années plus tard (18 ans), à la découverte d’un homme blanc entièrement tatoué vivant parmi ceux que l’on appelait alors les “sauvages”, c’est-à-dire les aborigènes d’Australie. Celui-ci incapable de parler sera baptisé “le sauvage blanc”. L’un raconte comment quitter la civilisation, l’autre comment y retourner. ...