Voici un livre qui m’a beaucoup touché et qui a résonné très fort. Il s’agit d’une autobiographie romancée – aussi appelée parfois autofiction – de Frederick Exley. Le protagoniste – ou l’auteur – qui nous raconte une partie de sa vie ne s’est jamais adapté à la société. Il a été ce que l’on appelle parfois un marginal. Il semble l’avoir été malgré lui, pas par sa posture donc, mais plutôt par une incapacité totale à entrer dans le moule étriqué de la société. Quand je dis que ce n’est pas une posture, on peut même dire que c’est même l’opposé puisqu’il a énormément souffert et est entré dans une spirale d’autodestruction qui l’a mené à plusieurs reprises jusqu’à l’hôpital psychiatrique, et dans laquelle une seule chose a surnagé, peut-être comme un vestige de l’enfance idéalisé, les New York Giants.

Nous avions déçu nos familles par notre incapacité à fonctionner correctement en société (une définition de la folie qui en valait bien une autre). Les nôtres, les yeux remplis de larmes et d’auto-apitoiement, avaient prié les médecins de nous redonner l’envie de redémarrer dans la bonne direction. Cette direction – une famille et une femme, un poste de vice-président et une Cadillac – variait selon la vision étroite qu’en avaient nos proches.

Est-il simplement un paumé parmi tant d’autres ? Non il s’agit plutôt de quelqu’un de trop intelligent pour se conformer sans broncher à la rigidité et à la bêtise de la société, encore une fois sans le revendiquer, mais plutôt en le subissant de plein fouet. Cette intelligence fine et cette lucidité – ou cette extra-lucidité – dans sa perception du monde a été paradoxalement la cause de son malheur.

Je voulais tuer ce type, de la même façon que je voulais détruire cette Amérique obsédée par sa propre beauté, les anéantir pour leur manque total et infini d’imagination.

Ces qualités explosent dans ce roman et les multiples facettes qu’il explore. Dans la façon de raconter, dans le point de vue, dans la sincérité, dans l’écriture et dans l’humour. J’ai été particulièrement sensible à ce dernier point – je suis convaincu qu’il n’y a guère d’intelligence sans humour – qui évite brillamment au roman, notamment par le biais de personnages hauts en couleurs, d’être triste et déprimant – même s’il peut l’être parfois malgré tout.

Il utilisait le mot putain avec une fréquence dont je n’avais jamais été témoin en ce monde pourtant entièrement dévolu à la vulgarité la plus crasse.

Il s’agit de l’un des tout meilleurs romans que j’ai lu – et quel titre sublime –, parfois triste ou déprimant, parfois drôle et jouissif, la définition de la vie.

P.-S.: J’ai oublié de dire qu’il s’agit du premier livre d’une trilogie appelée Journal d’un Fan (A Fan’s Notes) qui se poursuit donc avec À l’épreuve de la faim et À la merci du désir – tout un programme.


Exley, Frederick. Le dernier stade de la soif. Traduit par Philippe Aronson. Monsieur Toussaint L’ouverture, 2018.