La colère et l’oubli

Je ne suis pas un spécialiste de ce sujet, juste un témoin occidental de la montée du jihadisme dans nos pays européens et de ses manifestations les plus visibles et les plus cruelles, les attentats. Ce livre retrace clairement l’histoire de cette vague qui, comme le souligne Hugo Micheron, évolue en deux temps, à marée haute et à marée basse. L’ouvrage est articulé en trois phases chronologiques. Les vétérans - décennie 1990: Il revient sur les origines du mouvement à Peshawar pendant la guerre d’Afghanistan, qui a vu se rejoindre des musulmans de nombreux pays pour faire la guerre à l’envahisseur russe. À la fin de la guerre, ils sont retournés essaimer dans leur pays ainsi q’en Europe et en particulier à Londres pour former ce qui a été nommé le Londonistan. Les pionniers - décennie 2000: Les attentats du 11 septembre sont le point de départ d’un jihadisme européen, c’est-à-dire émanant d’Europe pour frapper l’Europe. Les autochtones: C’est l’époque de la guerre en Syrie qui attire sur son sol des combattants, de l’essor de Daech (État islamique) et de l’établissement, relativement éphémère, d’un califat. Tout est extrêmement bien documenté – Hugo Micheron est un enseignant-chercheur spécialiste de ce sujet – et très clair – même pour le profane que je suis. Il montre bien les mécaniques de radicalisation qui passent principalement par l’établissement de communautés dans des villes ou des quartiers, les prêches et la prison et qui ont su s’adapter aux nouveaux moyens de ommunication numériques qui ont connu une révolution pendant ces décennies. Les propos factuels et dépassionnés d’Hugo Micheron donnent au lecteur une vision claire et clinique des récents évènements qui ont bouleversé nos vies d’européens. Ce livre est un outil indispensable pour acquérir une connaissance de ce phénomène, connaissance qui est un préalable obligatoire à la compréhension de l’évolution de nos sociétés. Comme l’auteur le souligne dans sa conclusion, les différents mouvement politiques ne semblent toujours pas appréhender cette problématique de la bonne manière. ...

Exorcisme

Gérald Bronner est un sociologue reconnu, il s’est même récemment vu confier une mission par l’Élysée connue sous le nom Les Lumières à l’ère numérique – ou plus prosaïquement commission Bronner. Dans ce livre, il revient sur sa jeunesse à Nancy. Enfant de la classe populaire, il a frôlé la délinquance avant d’être détourné de ce chemin et guidé vers des mondes mystérieux par un oncle taciturne qui ne sortait jamais de son appartement rempli de livres. Cette initiation a donné lieu à la formation du C.E.R.F., le rétroacronyme – puisqu’il a un double sens – de “Chercheurs En Réalisme Fantastique” qui réunissait tout ce que la ville de Nancy comptait d’enthousiastes pour la féérie, le mystère, le caché, en somme tout ce qui n’était pas la vie plate et ennuyeuse. Le Seigneur des anneaux et Le Matin des magiciens – sous-titré Introduction au réalisme fantastique – étaient leurs livres de chevet. ...

Éloge du carburateur

Matthew B. Crawford a un parcours atypique. Il est diplômé en physique puis a obtenu un doctorat (PhD) de philosophie politique. Sans surprise, après ses études, il a dirigé un think tank avant de tout quitter pour monter un atelier de réparation de motos. Bref, j’étais passé du comité pour la pensée sociale à la cour des miracles. Ce livre relate cette expérience dont il se sert pour illustrer et nourrir sa réflexion sur le sens du travail et la dichotomie entre travail intellectuel et travail manuel. L’une des principales questions qui est posée est pourquoi on les oppose ? Pensez-vous que la réparation d’une moto ancienne ne requiert que de la dextérité ? Comment faire alors pour diagnostiquer une panne et trouver la solution ? Il s’agit bien de la combinaison des deux compétences – comme chez les dentistes ou les chirurgiens par exemple – alors pourquoi s’ingénie-t-on à, plus que les séparer, les opposer et ce dès l’école comme si ces deux compétences étaient mutuellement exclusives ? ...

MetaMaus

C’est chouette d’être reconnu. Mais assez dur d’être vu derrière un masque de souris! Le livre me menace, on dirait, comme mon père jadis. Journalistes et étudiants veulent encore des réponses aux mêmes questions. Pourquoi la BD ? Pourquoi les souris ? Pourquoi l’Holocauste ? […] Mais je vais tâcher de répondre de mon mieux. Comme ça, quand on me demandera à l’avenir, je répondrai peut-être juste plus jamais ! Voilà les questions centrales de ce livre adressées sous la forme d’une interview de Art Spiegelman menée par Hillary Chute qui est une universitaire spécialiste de l’oeuvre – le livre parle de lui-même sur ce point. Ce n’est donc pas une bande dessinée, mais un livre d’entretien très complet, précis et documenté consacré au chef-d’oeuvre de la bande dessinée Maus – un livre sur un livre donc un métalivre d’où son titre. Une fois le livre ouvert et les premières pages lues, il devient évident que ce livre est un complément indispensable à la bande dessinée car il permet de prendre encore plus conscience de la richesse de l’oeuvre. Même s’il est réalisé sous la forme d’un long entretien il s’agit vraiment d’un essai consacré à l’oeuvre tant cet ouvrage est riche, précis et éclairant – un entretien de l’auteur qui a lui-même réalisé l’entretien de son père pour écrire son livre. Il explore toutes les sphères dans lesquelles s’inscrit le livre (mémoire, histoire, bande dessinée, art, etc.) qui a demandé à son auteur pas moins de 13 années de travail. J’ai trouvé dans ce livre tellement de choses pertinentes que j’ai abusé des citations dans cet article – ils en parlent mieux que moi. ...

L'empire de la douleur

Je suis désolé de te le dire, mais tu pourrais devenir le Pablo Escobar de l’an 2000 [un anesthésiste à Richard Sackler]. Cette enquête porte sur les origines de la crise des opioïdes qui fit – et qui fait peut-être encore – de nombreuses victimes aux États-Unis. Cette crise plonge ses racines dans une dynastie familiale, les Sackler, qui mit sur le marché des médicaments antidouleur – notamment l’OxyContin à base d’oxycodone – et promurent leur utilisation de façon débridée. ...

King Kong théorie

L’incipit de ce livre devrait passer à la postérité. J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbattables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Dans cet essai, Virginie Despentes aborde plusieurs sujets qui lui tiennent à coeur. Tout d’abord la place de la femme dans la société, du féminisme donc mais à la sauce Despentes. Puis des sujets plus tabous que sont le viol, la prostitution et la pornographie – j’en oublie peut-être. Elle sait de quoi elle parle puisqu’elle a vécu toutes ces expériences. Mais elle ne se contente pas d’en rendre compte, elle confronte son expérience à une grande connaissance théorique comme en atteste la bibliographie conséquente présentée en fin d’ouvrage – bien que ces sujets soient selon elle encore trop peu traités dans des ouvrages sérieux ou trop méconnus. Tout ceci dans un style qui lui ressemble et qui ressemble à la musique qu’elle aime et par laquelle elle se définit, le punk. ...

Les Naufragés du Wager

Je n’ai pas l’habitude de lire des romans d’aventures – et encore moins historiques – mais, ce livre n’est pas une exception car, s’il ressemble à s’y méprendre à un roman, il s’agit d’une histoire vraie. On pourrait facilement se tromper car, comme je l’ai appris lors de la lecture, le Robinson Crusoé de Daniel Defoe a été inspiré par l’histoire, qui s’est déroulée quelques décennies avant les événements du Wager, d’un naufragé écossais ayant survécu pendant quatre ans sur une île déserte. ...

Henry Kissinger

Henry Kissinger est certainement le seul secrétaire d’État des États-Unis qui est passé à la postérité au niveau mondial, c’est dire l’impact qu’il a eu sur la politique étrangère américaine. Et, comme le rappelle à juste titre Gérard Araud, cette performance est encore plus remarquable pour un enfant émigré juif allemand qui a fui la guerre. Le diplomate français retrace dans ce livre qui n’est pas une biographie – mais s’en rapproche – le parcours de celui qu’il qualifie de diplomate du siècle. L’approche classique, chronologique, nous permet d’apprécier l’ascension de celui qui, même lorsqu’il a quitté le pouvoir, a continué d’exercer une influence importante auprès des puissants de ce monde, à commencer par les présidents des États-Unis qui se sont succédés depuis. La majeure partie du livre s’attarde sur son activité sous les mandats de Richard Nixon qui couvrent deux chapitres majeurs du siècle dernier, la guerre froide et la guerre du Vietnam. ...

Le combat du siècle

Le combat du siècle ou The Rumble in the Jungle est le combat, organisé par Don King, qui eut lieu en 1974 à Kinshasa (au Zaïre, devenu depuis la RDC) et qui opposa les deux plus grands boxeurs de l’époque, le puncheur Georges Foreman et le technicien Mohamed Ali pour la conquête du titre de champion du monde de boxe anglaise. Et ce n’est pas tout, le combat n’est pas raconté par n’importe quel journaliste, mais par l’écrivain Norman Mailer plusieurs fois lauréat du prix Pulitzer. Vous en voulez encore ? Mailer a inscrit son récit dans la mouvance du nouveau journalisme. Le récit est très novateur – même aujourd’hui prés de 50 ans après sa publication – puisqu’il sort du cadre du reportage pour s’inclure dans le récit – il parle d’ailleurs de lui à la troisième personne, en utilisant son prénom, Norman – comme le fait aujourd’hui Emmanuel Carrère et comme l’on fait avant lui Tom Wolfe, Truman Capote, Joan Didion ou encore le roi du Gonzo Hunter S. Thomson – ce dernier est d’ailleurs présent dans le récit puisqu’il se trouvait sur place pour suivre l’évènement. Il profite de cette position d’observateur pour dire son étonnement de découvrir ce pays immense au coeur de l’Afrique dirigé par le dictateur Mobutu. ...

La civilisation du poisson rouge

Le temps d’attention du poisson rouge est de 8 secondes, celui de la génération des millenials de 9 secondes. La croyance populaire dit que cette mémoire courte aide le poisson à supporter la vie dans son bocal, en va-t-il de même pour les humains, les sollicitations courtes, mais quasiment constantes des réseaux sociaux aident-elles à mieux supporter notre vie moderne ? Il est désormais rare de trouver quelqu’un qui attend simplement, à l’arrêt de bus, dans une salle d’attente ou en faisant la queue, tout le monde ou presque, sans distinction d’âge, est courbé en deux, plongé dans son smartphone. ...

Tragédie à l’Everest

Jon Krakauer, journaliste, auteur de plusieurs ouvrages, dont Into the wild – que tout le monde connaît grâce à son adaptation au cinéma – et alpiniste a obtenu le financement de la part de son journal, Outside, pour participer à une ascension de l’Everest afin de rendre compte de son expérience et de l’engouement croissant que connaissent les expéditions commerciales – de tourisme en enfer pour le dire autrement. Vu le titre et le fait que l’auteur dresse le bilan désastreux de ces expéditions de 1996 – celle à laquelle il a participé et celle d’une autre entreprise, Mountain Madness – je ne vais pas divulgâcher en disant qu’elles ont tourné au désastre. ...

Le plus gros jeu

Al Alvarez était un journaliste – il pratiquait le journalisme gonzo –, il a écrit plusieurs reportages pour des journaux prestigieux comme celui-ci pour le New Yorker consacré aux championnats du monde de poker (World Series) qui se sont déroulés à Las Vegas en 1981 – ils se déroulent chaque année dans la ville du jeu depuis 1970. Mais il était avant tout un écrivain et un poète. Le flegme britannique s’est dilué dans les vapeurs de bourbon et les voix paisibles des hôtesses de l’air, tandis que nous filions tout droit vers l’Ouest, dans la pénombre d’une nuit continuellement prolongée. ...

Fin de partie

Ce livre est fascinant car Bobby Fischer est fascinant et ce livre est sa biographie. Il raconte par le menu la vie du génie des échecs. Pourquoi est-il aussi fascinant ? Certainement car, comme les pièces du jeu d’échecs, il a un côté clair et un côté sombre. Un véritable génie dans le monde du jeu qui montre un profond déséquilibre dans le monde réel. C’est bien le genre de dualité dont tous les auteurs de fiction se nourrissent lorsqu’ils souhaitent créer un personnage de légende. ...

Hell’s Angels

Qui serait partant pour une petite virée en compagnie de Terry le clodo, Marvin la torpille, Bob le Miro sans oublier Ed le dégueulasse ? Cette aventure bucolique a manifestement tenté Hunter S. Thompson qui a pris son travail de journaliste de terrain (Gonzo) à coeur en accompagnant les motards sauvages lors de leurs virées – qui se résument à de grosse beuveries auxquelles on se rend en grosse cylindrée vêtu de jeans qui tiennent debout tout seuls tellement ils sont imprégnés de crasse et de cambouis. Le premier venu ne peut évidemment pas les accompagner – sans risquer de graves ennuis –, il faut être adoubé et mériter leur respect, autant dire qu’il ne faut pas tourner à la limonade – je pense que de ce côté là, l’auteur de Las Vegas Parano n’a pas eu besoin de trop forcer sa nature. ...

Ce qu'il reste de nos rêves

Aaron Swartz est l’un de ces génies fulgurants, une étoile filante, son domaine, l’informatique, son combat, l’accès à la connaissance. Comme d’autres comme lui – citons par exemple Ettore Majorana raconté dans En cherchant Majorana –, il évoluait très loin au dessus du lot. Au lieu de se contenter comme tant d’autres – citons par exemple Mark Zuckerberg – de faire de l’argent, il avait l’ambition de changer le monde, il s’est battu pour le libérer et on peut dire qu’il y est un peu parvenu – au moins disons qu’il a peut-être contribué à éviter le pire. On lui doit, outre Reddit qui n’est pas sa meilleure contribution au bien commun – quoi que tout le monde ne sera pas de cet avis – son travail sur les licences Creative Commons (CC) permettant de partager la connaissance tout en garantissant la propriété intellectuelle, l’Open Library, son influence sur la non adoption des lois de censure (Stop Online Piracy Act), mais aussi, plus prosaïquement, le langage Markdown (en collaboration avec John Gruber) que j’utilise tous les jours et qui n’est étrangement pas mentionné dans ce livre. ...

Congo

David Van Reybrouck a publié en 2022 un nouveau livre consacré à l’Indonésie, Revolusi1. Cette sortie m’a fait penser à son livre précédent, Congo qui avait été largement salué par la critique lors de sa sortie. A l’époque, le sujet ne m’intéressait pas, mais depuis ma lecture des livres de Jean Hatzfeld, je m’intéresse de plus en plus à l’Afrique et je me suis dit que c’était l’occasion – d’ailleurs j’ai retrouvé dans ce livre une partie de l’histoire du génocide rwandais, la traque des réfugiés Hutu au Congo. Et je comprends maintenant pourquoi ce livre a recueilli autant de louanges. Il embrasse toute l’histoire du Congo (le pays qui porte désormais le nom de République démocratique du Congo) depuis l’arrivée des premiers explorateurs jusqu’à celle des entreprises chinoises. Entre temps il s’est passé beaucoup de choses et il reste le goût amer de ce qui ressemble bien à un terribles gâchis. Le livre est une somme (~600 pages en grand format et ~800 en poche) et pourtant la lecture est passionnante de bout en bout. Comment l’historien et archéologue fait-il pour accrocher le lecteur avec un livre qui se veut être avant tout un livre d’histoire ? ...

L'établi

Un intellectuel à l’usine, Robert Linhart, normalien, sociologue s’est fait embaucher dans une usine des 2 CV en 1968 en passant sous silence ses diplômes – le livre a été publié en 1978. Son objectif était double: dénoncer les conditions de travail aliénante de la chaîne et contribuer à la révolte. Ces conditions de travail se traduisaient par la répétition du même geste 10 heures par jour sous la pression de la chaîne qui avance impitoyablement ou sous l’injonction des quotas (boni) à respecter. C’est l’époque en France de la main d’oeuvre corvéable à merci issue de l’immigration. Il montre comment cette population plus vulnérable est littéralement exploitée. La direction a sous la main des employés d’autant plus dociles qu’ils savent qu’un faux pas leur vaudra plus qu’un licenciement, un retour au pays et donc la fin du financement de leur famille. ...

Les carnets du crocodile

Je ne suis pas arrivé au bout de ce livre, mais je vais quand même en dire un mot. J’avais pourtant hâte de le lire depuis que j’en avais entendu parler à la radio. Il s’agit d’un livre qui a rencontré un certain succès, auprès d’un public restreint tout de même, d’une jeune autrice disparue à seulement 26 ans. Il ressemble à un journal – même s’il n’en a pas vraiment la forme –, mais un journal autofictionnel – c’est un concept. On sent qu’il y a une part importante de vécu agrémentée d’éléments de fiction. On ressent la souffrance, la détresse propre à la jeunesse, la dépression. ...

Les vies de Jacob

Une histoire incroyable qui vous tombe sous la main comme ça. Une vieux livre rempli de plusieurs dizaines de portraits – désolé, je ne me souviens plus du nombre. Le plus intriguant est que ces portraits on été réalisés dans un photomaton et ont immortalisé le même homme, Jacob. Pourquoi cette accumulation de portrait ? Simple narcissisme, mouvement artistique, précurseur du selfie avant l’avènement d’Instagram ? Il n’en fallait pas plus à Christophe Boltansky pour partir sur les traces du mystérieux Jacob. L’exercice qu’il entreprend est très modianesque: vielles photos, adresses, personnages troubles, toponymie, tous les ingrédients sont là, mais la période est différente, ce n’est pas l’après guerre, mais une époque plus contemporaine, les années 70. Alors quel est le résultat ? ...

Celui qui va vers elle ne revient pas

Celui qui va vers elle ne revient pas. C’est ce que la Bible dit des femmes adultères. C’est ce que les Sages du Talmud disent des idées hérétiques. Ce livre est une plongée dans un monde étrange, surprenant pour celui qui ne le connaît pas. Cet univers est celui des juifs ultra-orthodoxes, les hassidim qui vivent en marge du monde moderne, isolés au sein de communautés dont la vie s’articule exclusivement autour de la religion. ...