Ne t’arrête pas de courir

Ce livre est un récit, une enquête, des entretiens et une analyse consacré au sportif de haut niveau Toumany Coulibaly qui a la particularité d’avoir fait de la prison pour des braquages à répétition. Gagner une course – avec une certaine facilité – et, au lieu de rentrer chez lui ou de fêter la victoire, il part se faire la caisse d’une pharmacie. C’est ce comportement qui a interpelé le journaliste Mathieu Palain qui a le même âge et a grandi dans la même banlieue que le sportif. Il a donc enquêté et rencontré Toumany Coulibaly à de nombreuses reprises pour essayer de comprendre. Au fil de ces rencontres, ils se sont rapprochés. ...

Un hiver à Wuhan

Alexandre Labruffe a vécu en Chine lorsqu’il était plus jeune, au début de sa carrière, puis, plus récemment à Wuhan au début de la pandémie. Dans ce court récit, il entremêle les souvenirs de ces deux époques pour livrer son expérience et sa vision de la Chine. Et elle est plutôt paranoïaque à moins qu’elle ne soit finalement assez réaliste. La Chine est l’utopie réalisée du libéralisme, où la seule liberté, finalement est celle de consommer. Préfiguration d’un monde en gestation. Le pire du communisme et du capitalisme réunis. Un monde réduit au consumérisme. (La Chine pré-scénariste l’avenir.) ...

La méprise

Après avoir lu L’Inconnu de la poste et surtout après avoir écouté l’émission À voix nue consacrée à Florence Aubenas, j’ai eu envie de lire un autre de ses livres. Mon envie n’avait pas à voir avec son écriture, mais plutôt avec ce qu’elle est et ce qu’elle a accompli, son courage, son engagement, sa volonté et ses convictions. Mon choix s’est porté sur La méprise tout simplement parce que j’étais intrigué par cette affaire d’Outreau. J’étais jeune au moment des faits et j’en avais simplement entendu parler au journal télévisé – tout de même à de nombreuses reprises. Je regardais cette affaire de loin sans trop comprendre comment et pourquoi autant de personnes étaient impliquées, j’ai donc voulu en savoir plus – et j’ai certainement été aussi poussé par un peu de curiosité malsaine. Sur ce dernier point, je n’ai pas été déçu. ...

Le piège américain

Frédéric Pierucci au moment des faits est un cadre supérieur – ou cadre dirigeant – de la société Alstom. Lors d’un voyage d’affaires aux États-Unis il est arrêté dès son arrivée à l’aéroport. Son crime ? Avoir suivi à la lettre les procédures en vigueur dans son entreprise (compliance) pour obtenir un gros contrat1. Cette arrestation marque le début d’une affaire qui atteindra les plus hauts sommets de l’état. Le récit que Pierucci fait de son calvaire ressemble à un livre de Kafka, sauf qu’ici nous sommes dans la réalité. ...

Le Jour où j’ai rencontré Ben Laden T1

Jérémie Dres raconte dans ce premier tome l’expérience de deux jeunes djihadistes. Ils avaient, pour des raisons qui ne sont pas très claires, choisi de quitter la France pour se rendre en Afghanistan. C’est alors l’époque de la première prise de pouvoir des talibans qui a précédé les attentats du 11 septembre et l’arrivée des américains. Ces deux jeunes repentis sont devenus des adultes qui font partager leur expérience pour sensibiliser les jeunes aux dangers de cette aventure. Leur intention, ainsi que celle de l’auteur, est louable, aucun problème sur ce point. Le problème vient de la réalisation, de la mise en oeuvre. Surtout si l’on compare cet ouvrage à un projet similaire comme L’Odyssée d’Hakim dans lequel l’auteur de BD retranscrit le récit d’une personne ayant vécu une expérience traumatisante. ...

24 oct. 2021 ·  BD

L’Odyssée d’Hakim T1

J’avais terminé Yoga sur l’histoire des réfugiés et voici que j’enchaîne avec ce récit qui permet de mieux rentrer dans l’histoire personnelle d’un de ces migrants que les médias on tendance à déshumaniser lorsqu’il sont présentés en groupes – toujours au pluriel – dans les camps de réfugiés. Il est facile d’oublier que derrière le groupe il y a des individus et que derrière chaque individu, il y a une histoire souvent douloureuse – il faut garder à l’esprit que quitter son pays n’est pas un acte que l’on fait de gaité de coeur. Ce n’est pas un migrant, c’est Hakim et voici son histoire. ...

10 avr. 2021 ·  BD

L’Inconnu de la poste

Dès que j’ai vu le nom de Florence Aubenas associé à un fait divers, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ces quelques lignes à la fin d’un article de Libération signé par la journaliste qui ont éveillé la curiosité d’Emmanuel Carrère pour l’affaire Jean-Claude Romand et qui ont donné lieu à l’un des tout meilleurs livres, L’Adversaire, traitant d’un crime depuis celui que l’on cite toujours lorsque l’on évoque ce type d’ouvrage, le De sang-froid1 de Truman Capote. La comparaison s’arrête là. L’Inconnu de la poste n’est pas dans une oeuvre qui restera dans l’histoire, mais un livre qui n’a pas cette ambition et qui se contente plus modestement de relater des faits qui de par leur nature ne nécessitent pas d’adjonctions pour intéresser le lecteur. ...

23 févr. 2021 ·  Noir  ♥

Anatomie d'un instant

Ce livre aurait pu s’appeler autopsie d’un instant tant il examine avec une précision chirurgicale le coup d’état qui a eu lieu en Espagne le 23 février 19811 – mais le titre est très bien ainsi, il est parfait. Javier Cercas décortique cet évènement en partant, en excellent romancier qu’il est, de son point d’orgue: l’irruption dans l’hémicycle de la chambre du Parlement espagnol, en pleine séance du second vote d’investiture du président du gouvernement, de militaires armés. Ne vous y trompez pas, Cercas, malgré son remarquable talent d’écrivain, ne romance pas cet évènement historique car, il en a pleinement conscience, la réalité surpasse la fiction. ...

Crac

Près d’un siècle après, Jean Rolin marche dans les traces de Thomas Edward Lawrence plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie. Il part comme lui sillonner le Moyen-Orient, notamment le Liban et la Syrie, pour visiter les forteresses et les châteaux bâtis par les croisés dont le Crac (parfois orthographié Krak) qui a donné son nom au livre. C’est un livre semblable à son précédent opus, Le Traquet Kurde, même s’il y est un peu moins question d’ornithologie – on ne se refait pas – et un peu plus de T. E. Lawrence. Un récit de voyage, mais à la Jean Rolin, avec de l’humour, de l’espièglerie, du second degré et beaucoup d’érudition. ...

Tokyo Vice

Jake Adelstein est, comme il se définit lui-même un juif américain, mais au pays du soleil levant, il n’est qu’un gaijin. Ce gaijin, à peine ses études terminées, a réussi la prouesse d’être embauché dans l’un des plus prestigieux quotidien du pays, le Yomiuri. C’est à ce point un exploit que les japonais ne le croyaient pas. Après des débuts à couvrir des petites affaires locales il s’est spécialisé dans le monde de la nuit. A trainer le soir, il n’a pas tardé à croiser les dangereux yakuzas. Et à trop se frotter à ce genre d’individus, on peut vite s’attirer des ennuis, surtout lorsque l’on commence à fourrer son nez dans des affaires de trafic d’êtres humains. ...

1 sept. 2018 ·  Noir  ♥

Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas

Comme l’indique le sous-titre, il s’agit d’un livre de souvenirs. Ceux d’un historien spécialiste de la Rome antique devenu professeur au Collège de France. Très classiquement il raconte son enfance, ses études, s’attarde sur son passage à l’école normale supérieure. A cette époque le communisme n’était pas encore mort – on ne connaissait pas ou on ne voulait pas croire à Staline et ses goulags – et Paul Veyne revient sans ambages sur son passé de communiste. A l’en croire – et il n’y a pas de raison de ne pas le croire puisqu’il fait preuve tout au long du livre d’une extrême franchise – il a adhéré au parti plus pour être dans l’air du temps que par conviction. Il est très lucide et n’hésite pas à être critique envers lui-même. Il est toujours honnête, il ne cache pas les zones d’ombres comme le comportement de son père pendant la guerre. Il est sensible au regard que portent les autres sur lui – peut-être est-ce à cause de sa malformation congénitale à la joue dite Leontiasis ossea – et sait qu’il est toujours passé pour être un original. Il évoque ensuite ses débuts peu convaincants en tant qu’archéologue et sa carrière de professeur. Il est une fois de plus très franc en insistant sur sa fâcheuse tendance à procrastiner quand il s’est agi de rédiger sa thèse et sur son ingratitude vis à vis de ses maîtres. Il ne nourrit pas vraiment de regrets, il sait que c’est comme ça et qu’il ne pouvait pas en être autrement. Enfin ce qui fut pour lui la véritable consécration, sa nomination au Collège de France. ...

Le Traquet kurde

La première chose que j’ai remarqué dans ce Traquet Kurde est la très belle reproduction de l’oiseau en question juste derrière la page de titre. Car il s’agit bien d’un oiseau et non comme je l’avais cru en entendant le titre (sur une base phonétique) d’un réfugié kurde traqué par je ne sais qui. La seconde est la qualité du papier – je suis presque sûr que le grain du papier est plus fin que celui des autres livres P.O.L que j’ai lu. J’ai aussi pensé que ce livre, paru en 2018, était certainement l’un des derniers publiés par Paul Otchakovsky-Laurens, un éditeur qui lisait lui-même chaque livre publié par sa maison. Un éditeur comme l’on en fait plus. Un éditeur de la trempe de Jérôme Lindon – j’associe souvent Minuit et P.O.L, je trouve leur ligne éditoriale comparable – à qui Jean Echenoz avait rendu un si bel hommage dans son livre éponyme – ça pourrait donner des idées à un auteur de la maison, Emmanuel Carrère, Martin Winckler ou Jean Rolin par exemple. ...

La classe de rétho

Antoine Compagnon est un historien de la littérature française, professeur au Collège de France et l’un des plus grands spécialistes de Marcel Proust. Je vous passe son cursus complet, mais il n’y a pas besoin d’en rajouter pour se convaincre que nous n’avons pas affaire au premier venu. J’admire le savoir de cet homme que j’ai eu l’occasion d’écouter plusieurs fois lors de ses passages à la radio ou dans le cadre de ses cours disponibles en podcast et j’apprécie son humilité et sa façon de transmettre ses connaissances. ...

Le Météorologue

Un coup de coeur pour un livre comme l’on en a peu au cours d’une année de lecture, le dernier de ce genre est L’ordre du jour et il a eu le Goncourt en 2017. Olivier Rolin rend avec ce livre un bel hommage à Alexéï Féodossévitch Vangengheim, le météorologue, et avec lui à toutes les victimes de la grande Terreur en URSS. Météorologue avec les aléas que cela comporte – surtout à l’époque – est une profession à risque dans le monde paranoïaque sur lequel régnait le tyran Staline. Il n’y a qu’un pas – Staline n’est pas à ça près – entre une prévision qui ne se réalise pas et une volonté de sabotage. C’est pour cette raison que certains comme Alexéï Vangengheim ne savait même pas pourquoi ils avaient été arrêtés. C’était pourtant un homme paisible qui aimait avant tout son métier, la science et sa famille. Certainement un visionnaire dont l’élan vu brisé. Voici ce qu’il écrivait dans l’une de ses lettres. ...

L’ordre du jour

Ce livre nous raconte le moment où les nazis se trouvant sur le seuil des Enfers ont poussé la porte et l’ont franchie. Il s’intéresse à une période temporelle très courte en comparaison du vaste carnage qui va suivre. Lorsque les nazis ont préparé et réalisé l’annexion de l’Autriche, opération connue sous le non d’Anschluss, début d’un long processus destructeur qui mènera à l’horreur que nous connaissons. Au sein de cet espace-temps, Éric Vuillard met en lumière deux choses. La première, celle par laquelle débute ce livre avec la montée solennelle des 24 chefs d’entreprise le long du grand escalier est la contribution de l’économie allemande à l’effort de guerre. Ça c’est la version consensuelle. L’auteur préfère montrer comment ces capitaines d’industrie ont accepté sans broncher de mettre la main au portefeuille pour financer les projets des nazis et comment ils ont été payés en retour à grand renfort de main d’oeuvre gratuite et corvéable à merci puisque prise directement dans les camps. Dans ces conditions, elle ne durait pas longtemps, mais qu’importe, les nazis étaient là pour réapprovisionner. ...

Les Mohamed

Cette bande dessinée est l’adaptation du livre Mémoires d’immigrés1 de Yamina Benguigui. J’avoue que j’étais depuis longtemps intrigué par cette couverture et ce titre lorsque je l’apercevais sur les rayonnages de la bibliothèque municipale. Le design des personnages n’est pas étranger à cette impression, il m’a rappelé Maus2, mais je ne sais pas si c’est intentionnel ou si ce procédé n’est là que pour rappeler que la parole a été donné à des sans voix par Yamina Benguigui et à des sans visages, par Jérôme Ruillier – en même temps à bien y réfléchir, ça n’aurait pas été simple de mettre des visages, forcément inventés, sur ces récits – à moins que des photos existent, j’avoue que je ne sais pas. ...

16 juin 2017 ·  BD

Les Ignorants

Je n’avais pas lu du Davodeau depuis le poignant Un homme est mort1. Quelle erreur ! La lecture des Ignorants me conforte dans ma première impression, nous avons affaire à un très grand auteur – je pense que je vais rafler tout le rayon Davodeau lors de mon prochain passage à la bibliothèque. Il nous parle de la rencontre entre deux arts celui du vin et celui de la bande dessinée. Et ce n’est pas le mariage de la carpe et du lapin. Bien au contraire, il s’agit dans les deux cas de plaisirs appréciés par des amateurs éclairés, des personnes de bon goût – je me flatte un peu en tant qu’amateur des deux. Mais c’est aussi la rencontre de deux hommes, Richard Leroy et Etienne Davodeau, chacun faisant découvrir à l’autre son univers, lui faisant partager sa passion. Davodeau excelle dans l’art de raconter le quotidien, faire partager de simples discussions en exploitant les expressions, les regards. Il y parvient tellement bien que l’on croirait prendre part à ces échanges. Beaucoup d’humanité passe au travers de ce récit. ...

27 avr. 2017 ·  BD  ♥

Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B

En ouvrant ce livre on sait tout de suite que c’est du Tardi, mais on pense aussi évidemment à un des chefs-d’oeuvre du neuvième art, le Maus1 de Art Spiegelman. Les deux oeuvres traitent du même sujet, la Seconde Guerre mondiale, mais c’est surtout le fait que ces deux grands de la BD racontent l’histoire de leur père respectif qui pousse à ce rapprochement. Ils utilisent des procédés narratifs similaires en s’incluant dans le récit pour apporter un contrepoint au témoignage du vécu. L’enfant – le jeune Tardi ou le jeune Spiegelman – auquel son père raconte l’histoire a des réactions qui paraissent parfois déplacées. Ce sont pourtant celles de l’opposition classique entre un père et un fils, mais aussi celles des personnes n’ayant pas vécu ces évènements tragiques. Tout l’intérêt est que ces réactions sont présentées au lecteur. En plus d’apporter un éclairage différent et d’enrichir la narration par ces échanges, les réactions de celui qui écoute l’histoire permettent de désamorcer celles du lecteur et le fait réfléchir. ...

7 févr. 2017 ·  BD

L'Âge des lettres

En vérité, il ne s’agit ni de se comparer ni de s’identifier, mais trente-cinq ans après sa mort, de revenir, comme je le fais souvent dans ma tête, sur notre amitié, d’en parcourir les étapes, de fouiller dans ma mémoire, de retrouver ce que je lui dois, de lui rendre grâce pour ce qu’il m’a donné, pour les progrès qu’il m’a fait faire. Le “je” est Antoine Compagnon dont les titres et les fonctions sont difficiles à résumer, mais qui, pour faire simple est l’un des plus grands spécialistes de la littérature en France. Le “il” qui a aussi occupé une chaire au Collège de France, celui que l’on ne présente plus, – sauf à Nicolas Sarkozy qui prononce son nom comme celui du gardien de but de l’équipe de France de 1998 – Roland Barthes. ...

Le chemin des morts

Quand un membre de la famille meurt, il est conduit de la maison au cimetière par un chemin particulier, que l’on appelle le chemin des morts. Chaque maison, chaque famille a le sien. Il ne se confondent pas. Si bien qu’au-dessus des routes et des sentiers du village, ou au-dessous d’eux, ou à côté comme on voudra, il y a d’autres chemins, invisibles, formant une toile dont l’église est le centre. ...